Table ronde sur l’écoute des adolescents aujourd’hui

Télécharger le compte-rendu complet de la 1ère Journée Nationale de l’Écoute du 6 octobre 2010.

 Geneviève Piniau, Proviseur du Lycée Robert Doisneau de Corbeil-Essonnes, est l’auteur avec Jacques Boutelet de «Vaincre l’échec scolaire au collège par la découverte des métiers» aux éditions de «l’Harmattan». Proviseur de ce grand lycée depuis de nombreuses années, Geneviève Piniau mène un combat contre l’échec scolaire et l’exclusion. Grâce à son énergie, sa passion et son charisme, elle a réussi à sauver de nombreux enfants en grande difficulté en leur proposant de découvrir un métier dès la classe de 4e. Une méthode révolutionnaire qu’elle raconte dans son livre à travers des portraits à la fois émouvants et cocasses d’adolescents, qui sans elle, auraient sombré dans la délinquance.

Michel Fize, sociologue, ancien membre de cabinet ministériel et chercheur au CNRS, travaille depuis plus de vingt ans sur différents thèmes dont principalement celui de l’adolescence et de la famille. Auteur d’une trentaine d’ouvrages dont «Le Livre noir de la jeunesse» (Presses de la Renaissance 2007), « L’adolescent est une personne... normale » (Pocket, 2009), « L’Antimanuel d’adolescence» (Éditions de l’Homme, 2009), « L’Adolescence pour les nuls» (First ed. 2010) et «Les Nouvelles adolescentes» (Armand Colin, 2010).

 Samuel Comblez est psychologue de l’enfant et de l’adolescent. Il exerce en qualité de psychothérapeute dans un centre médicopsychologique pour enfants et adolescents et en cabinet privé. Il est aussi psychologue au centre de bilan de santé pour enfants de la CPAM de Paris et exerce depuis 2005, une activité d’écoutant/rédacteur au téléphone et sur Internet pour « Fil Santé Jeunes », service d’écoute et de soutien psychologique pour les jeunes de 12 à 25 ans, dépendant de l’association EPE (Ecole des Parents et des Éducateurs d’Ile-de-France). Il a été formateur sur la thématique de l’écoute pour la Croix Rouge Française dans le cadre de la prévention du suicide en milieu carcéral.

Nicole Viallat réside à Neuilly-Plaisance en Seine-Saint-Denis. Après une carrière dans le privé puis dans l’administration, elle est une senior active. Entrée comme écoutante bénévole à S.O.S Amitié Ile-de-France en 1988, elle y est devenue quelques années plus tard, membre du Conseil d’Administration puis Vice-présidente en 2002 et Présidente en 2006. Elle vient d’entamer en 2010 un deuxième mandat de Présidente. «A travers toutes ces années de bénévolat, j’ai beaucoup appris sur les autres et sur moi-même. Cette expérience confirme tous les jours qu’il faut croire à la solidarité humaine et que l’écoute est un merveilleux moyen de soutenir les êtres humains en situation de détresse.»

Didier Falcand en 1987, après une formation générale scientifique,intègre la rédaction du «Figaro Rhône Alpes». Il y gère les pages environnement et santé, puis devient responsable des informations générales. Il entrera en 1992 au groupe «Liaisons» puis en 1995 au magazine «Stratégie dont il deviendra le rédacteur en chef. En novembre 2004 il crée le bimestriel «les Clés de la presse“ qui a pour vocation de décrypter l’évolution et les tendances de tous les secteurs de la presse, de participer aux débats sur l’avenir de la profession et de fournir toute l’actualité sur les principaux mouvements des hommes et des entreprises. Journaliste accompli, il a accepté d’animer pour S.O.S Amitié, cette journée sur un thème particulièrement dans l’air du temps.

M. Didier Falcand – journaliste, animateur
Comment concilier l’indispensable besoin d’écoute de l’adolescent et l’accroissement des phénomènes de violence et de transgression du vivre ensemble chez les jeunes ?

Que vous inspire cette première question ?

M. Michel Fize
Le thème même de cette journée m’inspire une première réflexion. Quand on parle d’écoute, on pense à « exprimer » : si l’un écoute, l’autre exprime nécessairement quelque chose. Généralement, c’est dans l’autre sens que cela fonctionne. On demande souvent aux enfants – et même aux adolescents – d’écouter, avec cette expression que connaissent bien les parents de petits enfants : « Écoute, écoute ! » qui veut évidemment dire : « Obéis ». Personne n’est dupe sur le sens du mot « écouter » ! Bien évidemment, c’est l’adulte qui s’exprime.

Le fait qu’une association ait choisi d’inverser un ordre des choses qui semble naturel – qui est même immuable – me paraît aller dans le bon sens et surtout correspondre aux besoins des adolescents et des enfants.

Je ne sais si je vais répondre correctement à votre question, qui me paraît terriblement compliquée pour un début d’après-midi… J’ai cru comprendre que vous mettiez en parallèle adolescence, violence et société. C’est un vrai sujet de philosophie politique et sociale.

Il n’aura échappé à personne que nous sommes dans un monde de violence qui touche toutes les catégories et donc les plus jeunes, d’ailleurs dans la dualité des sexes. Dans la presse d’hier et de ce matin, on parle d’un phénomène que j’avais observé en étudiant la question des bandes, la délinquance des filles que l’on a, je crois, analysée à peu près correctement.

Un journal gratuit de ce matin parle de filles qui font « comme les garçons » : c’est exactement cela !

Cela renvoie à une société qui reste, quoi que l’on dise et quoi que l’on fasse, terriblement masculine, avec d’ailleurs quelques penchants ou tentations machistes ici où là, notamment chez certains adolescents sans songer à caricaturer ni à généraliser les choses, car on ne peut faire d’un adolescent un être violent, machiste et violeur presque par définition.

Il n’en reste pas moins que, dans cette sorte de compétition produite entre garçons et filles, les filles peuvent être tentées, pour se hisser au niveau des garçons, d’adopter un certain nombre de leurs comportements. Ceci peut être positif ; c’est souvent le cas dans un certain nombre de domaines, comme la musique et le rap, milieu qui avait pourtant une réputation machiste et où l’on a vu apparaître un certain nombre de jeunes filles dont Diam’s, qui en est la figure exemplaire sur la scène française.

La conséquence indirecte ou induite de l’égalité des sexes est donc peut-être cette affirmation de comportements féminins là où l’on ne trouvait que des comportements masculins.

Voilà pour le registre positif. Dans le registre négatif, on relève tout ce qui est de l’ordre de la délinquance.

Il faut aussi s’entendre sur ce que l’on met derrière ce mot faussement simple de l’adolescence et surtout de l’adolescent. La plupart des spécialistes sont assez d’accord sur un certain nombre de choses, même si nous ne partageons pas tous le même critère de point de départ…

M. Didier Falcand
Vous parlez de l’âge ?

M. Michel Fize
Je parle de l’âge. Quand cela commence-t-il et quand cela se termine-t-il ? Je crois effectivement que cela commence plus tôt mais, comme j’ai l’habitude de le dire, plus tôt que le plus tôt des psychologues d’une manière générale.

Il faut être très attentif au fait qu’aujourd’hui, il existe toute une série de pressions médiatico-commerciales qui poussent les enfants à manifester ce que j’ai appelé un jour le « désir d’adolescence ».

L’adolescence, avant toutes les définitions académiques que l’on a pu donner, c’est un formidable désir.

Après le désir, vient le sentiment, le sentiment d’en être. Ce sentiment et ce désir naissent de plus en plus tôt.

Comment les sociologues – qui sont des scientifiques jusqu’à preuve du contraire – élaborent-ils leurs connaissances ? Ils les élaborent en étant confrontés au terrain. Finalement, la sociologie, comme n’importe quelle science humaine, consiste à produire des connaissances provisoirement certaines.

Dès qu’une connaissance n’est pas provisoirement certaine, elle n’est pas scientifique. On peut accorder tout le crédit que l’on veut aux autres connaissances, elles ne sont pas scientifiques et peuvent être selon moi contestables. Les connaissances scientifiques, par définition, se contestent elles-mêmes ; si elles ne se contestent pas, elles n’ont plus ce caractère scientifique !

Il y a encore huit ans, lorsque j’ai écrit un ouvrage appelé « Les adolescents », en fonction du niveau de connaissances de l’époque, je faisais partir l’adolescence à compter de l’âge de 10 ans. Il me paraissait naturel qu’elle commence à 10 ans et tout aussi naturel qu’elle se referme à 18 ans. Huit ans après, ce « naturel » là, entre guillemets, ne me paraît plus du tout naturel !

J’ai donc fait un effort et abaissé l’âge de commencement. Il y a quelques semaines, j’assistais à un colloque dans l’Aisne avec des animateurs et des responsables de centres de loisirs. J’ai fait valoir qu’il me semblait qu’aujourd’hui, l’adolescence commence avant l’entrée au collège. C’est pour moi acquis depuis longtemps alors que mes collègues sociologues ne sont pas acquis à cette idée, considérant que c’est le passage de l’école primaire au collège qui marque le passage de l’âge d’enfant à l’âge d’adolescent, ce en quoi ils ont tort selon moi car le basculement se fait avant.

Lors de ce colloque, un responsable de centre de loisirs a fait valoir que ce n’était pas 9 ans mais 8 ans. Pourquoi 8 ans ? Parce qu’à 8 ans, on observe aujourd’hui des comportements d’autonomie. Ce qui fait la caractéristique majeure de l’adolescence, c’est la quête d’autonomie et non les mécanismes psychiques ou physiologiques qui accompagnent cette classe d’âge. Le nerf de la guerre entre parents et adolescents, c’est l’autonomie.

Ce responsable me disait donc qu’on observe aujourd’hui dans les centres de loisirs, chez des « enfants » de 8 ans, des comportements que l’on observait il y a quelques années encore seulement à 13 ou 14 ans, ce désir d’adolescence se produisant plus tôt.

La première phase est celle de l’identification aux plus âgés, la seconde celle de l’imprégnation : on se revêt déjà des attributs de l’adolescent plus grand, qui sont des attributs culturels. Je crois que l’adolescence commence par la culture et non par la nature, si l’on entend par là le phénomène hormonal. Après avoir fait « comme », on finit par être.

Avec une collègue psychosociologue, nous avons essayé de vérifier si le fait d’être « comme » transformait véritablement l’adolescent en quelqu’un d’autre. Il existe un certain discours qui consiste à dire que ce n’est pas parce que les enfants ressemblent à des plus grands qu’ils sont plus grands. Si !

C’est parce qu’ils leur ressemblent et se donnent tous les moyens d’être plus grands qu’ils sont effectivement plus grands !

Bien évidemment, les moyens employés pour ce faire sont d’abord de petits moyens. Je pense qu’il existe donc de jeunes adolescents, et non des pré-adolescents, qui ne veut scientifiquement rien dire, pas plus que « post-adolescents » ou « adulescents ».

Cela se termine également plus tôt. J’en étais à 18 ans ; j’ai revu ma copie car, en fonction de ce que j’ai pu observer, cela ne me paraît plus pertinent, à condition de réhabiliter un âge quelque peu caricaturé, qui est pourtant un bel âge, celui de la jeunesse.

Ma collègue et moi avons réintroduit trois âges de la vie : enfance, adolescence et jeunesse pour faire se terminer la page de l’adolescence à 14 15 ans, c’est-à-dire à la fin du collège.

Après avoir enquêté auprès de lycéens, il m’a semblé que rien n’était plus différent d’un collégien qu’un lycéen ; à bien des égards, on n’est ni dans le même désir, ni dans le même sentiment, ni dans le même niveau de maturation. Peut-être méritent-ils donc ce label de qualité, celui de la jeunesse.

Il est intéressant d’entendre ces mêmes garçons et filles qui, à 9 10 ans, réclamaient l’adolescence, nous dire, à l’arrivée au lycée qu’ils en avaient assez de l’adolescence et des clichés qui étaient attachés à cet âge de la vie. Les lycéens sont effectivement déjà de jeunes adultes…

M. Didier Falcand
Mme Piniau est Proviseur de lycée. Avez-vous le sentiment, Madame, d’avoir des jeunes adultes et non plus des adolescents lorsqu’ils arrivent au lycée ?

Mme Geneviève Piniau
Nous avons des élèves de 15 à 25 ans. Nous n’utilisons jamais le mot d’adolescents mais celui de jeunes adultes car on leur demande d’avoir des responsabilités et ils en ont souvent : environ 15 % de nos jeunes de seconde travaillent pour assurer leurs études contre 90 % des élèves post-bac. Ils sont dans la vie plus qu’on ne peut le dire et qu’on ne le croit. On les traite donc comme de jeunes adultes.

M. Didier Falcand
Qu’en est-il du rapport entre adolescence, violence et société ?

Mme Geneviève Piniau
Je suis arrivée il y a huit ans maintenant dans un lycée où la violence était communément admise parce qu’on est à Corbeil-Essonnes, qu’il existe des quartiers très connus dans le mauvais sens du terme et une population très fragile socialement parlant (40 % de chômage aux Tarterets, par exemple).

Ces enfants fragiles venaient à l’école parce que c’était obligatoire ; ils n’avaient pas forcément le sens de ce qu’ils venaient y faire. Cela rassurait les parents, c’était acquis mais sans avenir, sans projection.

Pour se projeter, il faut être solidement ancré dans sa vie, avoir des repères ; or, nos élèves n’avaient pas de repères. Se projeter à cinq ans pour envisager des études était invraisemblable. Quand on n’existe pas scolairement, ni dans sa famille ou dans son quartier, on se bat : il faut bien passer le temps !
On a donc pris le problème à l’envers – ce que je dis n’est valable que pour le lycée Robert Doisneau – en décidant que notre challenge serait de les faire tous réussir. Ils n’iraient pas tous à Polytechnique ou à Sciences-Po mais il fallait qu’ils aient tous une fenêtre ouverte sur l’avenir et sur leur réussite. Il fallait donc travailler d’entrée sur la réussite de tous les élèves.

L’écoute s’est donc mise fatalement en place : pour connaître les élèves et pouvoir les aider à tracer leur chemin de vie, il faut en effet les écouter et les traiter comme de jeunes adultes qui ont en mains leur devenir. On peut mettre en place tout ce que l’on veut : s’ils n’ont pas envie de travailler ni envie d’y croire, on ne peut pas croire pour eux !

Au bout de la première année, nous avions encore des phénomènes de violence en septembre mais cela s’est atténué en octobre/novembre pour disparaître complètement à partir du deuxième trimestre.

Depuis la troisième année, nous ne connaissons plus de phénomène de violence dans le lycée.

On peut mettre tout et n’importe quoi derrière ce mot mais on n’a plus de tags, plus de portes de toilettes démontées, plus de casse. Le lycée est devenu le lieu où les élèves viennent vivre. On vient y apprendre et y vivre et à cet âge-là, il est très important d’avoir un lieu sécurisé où l’on vit.

Nous avons de grands bancs en marbre de 25 mètres de long très impressionnants sur lesquels s’installaient des jeunes filles assises les unes contre les autres, comme les oiseaux sur des fils, et qui y restaient jusqu’à ce que le lycée ferme. Quand j’étais adolescente, je n’avais qu’une hâte, c’était de rentrer chez moi. On s’est alors dit qu’il se passait quelque chose et plutôt que de les laisser assises sur un banc à perdre leur temps, on a décidé d’ouvrir les salles pour que les élèves viennent y travailler. On a donc réinventé les études du soir encadrées. Quand on a demandé aux professeurs si certains pouvaient les accompagner, 25 volontaires se sont proposés pour les encadrer. On leur a ainsi offert un lieu de vie sécurisé, sur lequel l’extérieur n’a pas d’impact négatif et où on est tous là pour réussir.

A partir du moment où on a pu le faire entendre aux adolescents, ils ont pu nous faire confiance. Nous avons donc créé l’accompagnement personnalisé, il y a 7 ans, au Lycée Robert Doisneau. C’est devenu la règle au plan national et dans les classes de seconde de la France entière.

M. Didier Falcand
Il s’agit d’un accompagnement personnalisé pour 2.600 élèves…

Mme Geneviève Piniau
Plus le lycée est important, plus il faut personnaliser l’encadrement, sous peine de voir les élèves se noyer dans la masse.

M. Didier Falcand
C’est donc faisable !

Mme Geneviève Piniau
Bien sûr ! Quand il y a 2.600 élèves, on a le personnel en conséquence. Ensuite, c’est une question d’esprit.

M. Didier Falcand
Qu’en est-il huit ans après ?

Mme Geneviève Piniau
Nous sommes à 4 points au-dessus du niveau que le rectorat attend de nos élèves au baccalauréat.

Nous avons 100 % de réussite en L et avons augmenté le nombre de nos classes dans cette filière alors que nous sommes dans des quartiers où les L n’ont pas bonne presse. On a besoin d’humanistes et si nous y croyons, il n’y a pas de raison que les élèves n’y croient pas !

On essaie en outre de combler, avec nos moyens, le fossé qui existe entre les enfants qui nous sont confiés et ceux issus de familles qui vont très naturellement au musée, au théâtre, en vacances, etc. Il n’y a pas de classe de seconde qui n’aille pas deux fois par an au théâtre, au musée, au cinéma ou écouter un concert car ce fossé culturel fait un jour la différence.

Une fois qu’ils ont obtenu leur bac, ils sont tous bons dans les matières scolaires mais c’est le reste qui fait la différence. On a donc un important volant culturel, grâce aux moyens de la politique de la ville.

C’est une de nos missions ; la seconde est de donner de l’ambition à ces enfants qui n’en ont pas forcément. Depuis 7 ans, nous avons 25 élèves à Sciences-Po qui réussissent parfaitement ; l’an dernier, nous avons eu notre premier centralien. D’autres sont dans les grandes écoles. On attend le premier polytechnicien !

Cela signifie que l’on peut avoir un bac littéraire avec mention Très Bien quand on vient des Tarterets et cela commence à se savoir. De fait, on a 1,9 demande pour une place ; on fait donc des malheureux mais on prouve, grâce à l’esprit mis en place dans ce lycée, où les professeurs restent, où les gens s’investissent, où l’on n’est pas au quart d’heure près, que tous les enfants ont une chance de réussir, un potentiel pour réussir.

Ce n’est pas la même population qu’au collège. La grandeur du collège, c’est d’avoir 100 % d’une tranche d’âge. Au lycée, il y en a moins mais on fait un vrai travail d’insertion par la réussite scolaire. Nous réglons les problèmes en faisant réussir nos élèves !

M. Didier Falcand
L’écoute permet donc de juguler ces phénomènes de violence…

Mme Geneviève Piniau
Je ne l’ai pas dit mais c’est très important : nous ne sommes jamais seuls face à un jeune en difficulté.

Les parents sont toujours à nos côtés. Quand il s’agit de recadrer un enfant qui a dérapé, les parents sont du même côté de la table que nous et l’enfant est en face. Ce ne sont jamais les parents qui ont dit à un enfant d’insulter un enseignant. Cela n’existe pas. Cela fait 35 ans que je suis dans l’éducation nationale : je n’ai jamais entendu des parents dire à leur enfant d’insulter leur professeur ! Aucun n’a envie que son enfant échoue, même si à nos yeux, ils font tout ce qu’il faut pour cela ! Ce sont donc nos premiers partenaires.

M. Didier Falcand
Arrivez-vous à mobiliser les parents au lycée ?

Mme Geneviève Piniau
Oui, c’est très curieux. La première fois, je les convoque en bonne et due forme pour l’inscription de leur enfant en seconde ; ils sont donc obligés de venir. A partir de là, on essaie de leur faciliter la tâche.

On compte 780 élèves en seconde ; nous sommes 25 personnes intendant de l’administration, pions, enseignants, CPE, chef d’établissement et on ne fait qu’un guichet unique. On prend une famille et on inscrit l’enfant – langues vivantes, options, cantine, titre de transport – de façon que les parents aient identifié une personne qui soit un référent.

Avant qu’ils ne s’en aillent, je les invite à revenir le jour de la pré-rentrée des secondes ; le lycée est immense et peut faire peur. Je sais que ce n’est pas la mode et que les enfants n’aiment pas que les parents les accompagnent mais ils les laissent devant leur professeur principal et je les attends au réfectoire, où nous prenons le café ensemble et parlons de ce qu’est la seconde. Sur 782 familles, 610 sont présentes dans un quartier où, soi-disant, les gens ne se mobilisent pas, sans être en difficulté.

Je leur explique que, pour les enfants, entrer en seconde signifie travailler une heure et demie tous les soirs. On me dit : « Cela ne leur est jamais arrivé ! ». Ils apprendront ! Il est également de notre responsabilité de parents – j’en fais partie – de les envoyer se coucher à dix heures du soir. « Jamais il ne voudra ! ». Ce n’est pas à lui à vouloir : c’est de la responsabilité des parents.

En outre, pas plus d’une demi-heure sur l’ordinateur chaque soir ; ils ont le temps d’y jouer le week-end.

Enfin, on apprend ses leçons avant de se coucher parce que, quand on dort, on retient mieux ce qu’on vient d’apprendre.

Certains parents me regardent, incrédules. Ils vont revenir le 16 octobre pour le bulletin du demi-trimestre et à Noël. On les aura ainsi vus quatre fois au cours du premier trimestre. Ils nous connaissent et viennent ensuite nous voir facilement.

De plus, pour les élèves qui ont des difficultés à l’entrée en seconde, on signe un contrat de réussite. La famille est là, l’enfant est présent ainsi que le professeur principal, le professeur référent, le CPE et moi-même. On dit à l’élève : « Tu as mal commencé ta seconde. Quelle en est la cause ? ». « C’est très difficile ! ». « Ce n’est pas possible ; tu étais bon élève au collège ! ». Ils sont étonnés qu’on connaisse leur parcours. « Travailles-tu un peu le soir ? ». « Non, je n’ai jamais travaillé ! ». C’est ce que disent les parents et les enfants le reconnaissent. « Il va donc falloir que tu t’y mettes ! Que va-t-on faire pour t’y aider ? ».

On négocie ainsi pas à pas pour que l’élève s’engage. En échange, nous nous engageons nous-mêmes à soutenir ses efforts. C’est un contrat. Si l’élève est fragile en mathématiques, on lui attribue un assistant pédagogique de telle heure à telle heure afin de l’aider. Ce sont des cours particuliers, ni plus ni moins.

Enfin, le professeur principal le voit toutes les semaines pour faire le point.

Je demande ensuite aux parents ce qu’ils vont faire pour que leur enfant réussisse mieux. « Je vais enlever la télévision de la chambre, je vais débrancher Internet à partir de telle heure ». Je le note donc et on signe tous le contrat. Je ne revois l’enfant qu’au conseil de classe – puisqu’ils y participent pour ce qui les concerne – et on fait le bilan. « As-tu atteint les objectifs que tu t’étais fixés ? ». Les objectifs peuvent être très fragiles. Ils peuvent choisir d’avoir 7 en mathématiques ; ce n’est pas suffisant pour la terminale mais pour le premier trimestre, on peut l’admettre. Il a le droit d’être au dessus, pas en dessous. L’élève a 8. « Bravo ! Tu vas y arriver ! ». S’il a atteint ses objectifs, il a les encouragements du conseil de classe. Il sait que c’est le contrat mais il faut tenir. Si on dit des choses et qu’on ne les fait pas, on perd toute crédibilité mais, si on tient, on tient !

Nous avons ainsi réduit notre taux de redoublement, passant de 32 % il y a 7 ans à 10 % cette année.

Une fois qu’ils commencent à réussir, c’est la spirale vertueuse. Ils n’arrêtent plus et nous étonnent. Il faut juste les remettre dans le bon sens. Cela prend du temps et nécessite de l’écoute mais c’est notre travail et nous sommes payés pour cela !

M. Didier Falcand
Voilà une belle leçon d’optimisme !

Samuel Comblez, vous êtes écoutant sur Fil Santé Jeunes, qui s’adresse aux 12-25 ans. La notion d’adolescents est donc encore plus large…

M. Samuel Comblez
En effet.
Quand on m’a proposé de venir vous parler aujourd’hui, je suis allé voir les statistiques de Fil Santé Jeunes pour voir la part des appels consacrés à la violence.

M. Didier Falcand
Pouvez-vous présenter Fil Santé Jeunes ?

M. Samuel Comblez
Fil Santés Jeunes est un service gratuit, financé par l’INPES et sur lequel, de 8 heures du matin à minuit, tous les jours de l’année, les adolescents et les jeunes majeurs peuvent venir poser des questions, réfléchir, évoquer les questions autour de la santé psychique, physique, sociale. On peut aborder tous les sujets sachant que nous sommes psychologues, médecins généralistes, conseillères conjugales et familiales et juristes. Les adolescents nous sollicitent à hauteur d’environ 1.400 appels par jour. On n’en traite en fait que la moitié. Pourquoi ? J’y reviendrai après.

55 % des appels concernent la sexualité et la contraception, 12 % les problèmes relationnels, 14 % les difficultés psychologiques. 13 % sont en lien avec un contenu somatique.

On ne parle pas beaucoup de violence, bien qu’il y ait certainement de la violence dans les problèmes psychologique.

Fil Santé Jeunes est coordonnée par l’Ecole des parents et des éducateurs d’Ile-de-France qui coordonnent également Jeunes Violence Ecoute, plus connue parce qu’elle est relayée par beaucoup de campagnes publicitaires.

Or, Jeunes Violence Ecoute a beaucoup de mal à avoir des appels de jeunes, ce qui explique les campagnes médiatiques très développées dans le métro que l’on a en début d’année, en septembre et en décembre. Les appels émanent majoritairement d’adultes, de professionnels ou de parents confrontés à la violence des adolescents.

Pour dire franchement les choses, la violence est une préoccupation d’adultes. Je parle ici de la propre violence des adolescents et non de celle qui leur est infligée. En cas de problèmes de racket ou de maltraitance, les adolescents réagissent.

Ce qui concerne les adolescents et que j’entends sur Fil Santé Jeunes, ce sont leurs angoisses, leur insécurité, leur faille narcissique, leur peur d’être abandonné, le rapport à l’autre, le rapport amoureux, la première relation sexuelle. Ce sont là des sujets de préoccupation qui peuvent être générateurs de violence quand ils sont mal vécus, qu’il existe des difficultés à dire les choses ou à être entendu par rapport à ces sujets.

Très souvent aujourd’hui, sur Fil Santé Jeunes, on parle énormément d’excitation – ce qui peut être éprouvant lorsqu’on y travaille.

Vous avez peut-être vous-mêmes des enfants ou des adolescents ; je suis persuadé qu’aucun d’entre vous n’a été amené à parler d’excitation avec eux. C’est un sujet dont on ne parle pas. Rarement un adolescent va venir voir sa maman en lui disant : « Je suis excité, je voudrais en parler avec toi ».

M. Didier Falcand
Que mettez-vous derrière le mot « excitation » ?

M. Samuel Comblez
Je puis vous donner des exemples mais ils risquent de vous choquer. Tant pis ! J’ai travaillé hier après-midi. J’ai dû en recevoir 80 en cinq heures de travail. Un garçon m’a appelé en me disant : « J’ai envie de baiser ma copine. Comment faut-il que je fasse pour l’enculer, cette salope ? ».

Certes, ce sont des adolescents et c’est un langage d’adolescents mais il y a le langage tel qu’il est véhiculé et ce qu’il y a derrière. Il y a, dans l’intonation et dans la manière dont c’est transmis, quelque chose qui est de l’ordre de l’excitation dans le sens où cela les déborde, de l’ordre de l’ingérable. On n’arrive plus à le maîtriser et il faut que cela sorte.

Cela peut se traduire par de la violence : « Tu m’excites, tu m’énerves, je te tape ». On n’arrive plus à mettre des mots sur ce que l’on a envie d’exprimer. C’est alors le corps qui parle. En général, on n’y met pas les formes : on utilise les coups de poings, les coups de pieds, les coups de tête et on s’arrête là !

Notre travail, sur Fil Santé Jeunes, est de servir de pare-excitateur, de contenir cette excitation et d’essayer, autant que faire se peut, de donner du sens à cette excitation, d’y mettre des mots afin que l’adolescent puisse se l’approprier.

Nadine Gabin nous rappelait le stade du miroir et le jeune enfant qui découvre qui il est en se regardant dans le miroir ; pour l’adolescent, cette période est une seconde naissance et il va lui falloir apprendre à se découvrir en tant que nouveau sujet.

Ce quelqu’un d’autre va être aussi porteur d’un nouveau discours et dans une relation différente avec les adultes. Etre entendu, être écouté s’apprend petit à petit.

J’ai parlé de l’excitation et de la crudité de certains propos ; je pourrais citer bien d’autres exemples : on parle beaucoup de pratiques sexuelles, de taille de sexe, de pulsions dans tous les sens du terme…

J’ai dit que l’on avait environ 1.300 à 1.400 appels par jour, dont on ne traite que la moitié. Pourquoi ? 50 % de nos appels sont soit des plaisanteries, soit des scénarios.

Un jeune appelle par exemple en disant qu’il désire commander une pizza trois fromages sans fromage !

Un autre appelle en demandant : « Connaissez-vous Sarah ? ». « Non ». « Ca raccroche, vous ne connaissez pas ? » et il raccroche !

Deux minutes plus tard, le même jeune rappelle : « Connaissez-vous Sarah ? ». Les jeunes écoutants se font bien entendu avoir : « Ca raccroche ? On la connaît ! ». « Non, pas ça raccroche ; ça rappelle ! ». Et il raccroche !

Le même, une troisième fois. Là, vous commencez à être agacé mais vous l’accueillez, c’est notre travail. Que l’on soit bénévole ou professionnel, on doit avoir le même type d’accueil. «Connaissez-vous Eva ?». « Non ». « Mais si : Eva rappeler ! ».

En vous racontant ces histoires, j’ai tenté de vous montrer le mode d’accroche des adolescents et la manière dont ils viennent vers nous pour être écoutés et entendus.

Je travaille sur la troisième ligne que gère l’Ecole des Parents et des Educateurs, Inter-Service Parents, qui est réservée aux adultes qui peuvent y parler des problèmes qu’ils rencontrent avec leurs adolescents, un peu à l’image de S.O.S Amitié.

D’emblée, le problème est posé. Les adolescents viennent rarement poser leur problème d’emblée. Ils viennent dire des choses et c’est à nous d’entendre ce qu’il y a derrière.

Les trois ou quatre exemples d’appels que je vais vous citer ont été passés de manière extrêmement sérieuse et angoissée.

Un jour, une jeune fille m’appelle en disant : « Je suis très ennuyée ; j’ai 14 ans et je suis en pleine période d’évolution. Hier soir, j’ai eu un rapport non protégé et j’ai très peur d’être enceinte. Que dois-je faire ? Je suis en période d’évolution… ».

Je lui réponds : « C’est l’adolescence. C’est normal. Le fait que vous soyez en pleine évolution n’a pas d’implication sur le risque d’être enceinte ». Je lui tiens ensuite le discours de prévention que l’on a l’habitude de tenir et elle m’interrompt en me disant : « Excusez-moi, ce n’est pas évolution, c’est ovulation. Je suis en pleine période d’ovulation et j’ai peur d’être enceinte ! ».

Hier après-midi, un jeune homme extrêmement angoissé m’a appelé parce qu’il avait eu un rapport sexuel, je pense qu’il avait fait trois bisous et craignait d’être « serré positif ».

Un autre appel a fait l’objet d’une réunion. C’est dire si le mode d’accroche est extrêmement important et qu’on en parle beaucoup. Une jeune fille nous appelle en disant : « J’entends souvent parler de la séparation de deux personnes ; je ne comprends pas pourquoi cela angoisse ceux qui évoquent la rupture d’Anne et Vrisme ! ».

La dernière histoire est assez touchante. Il s’agit d’une jeune fille très jeune (12 ans). Les idées autour de la sexualité, même si les études ont montré que l’âge des premiers rapports se situe autour de 16 17 ans, commencent assez tôt. Cette jeune fille appelle en disant : « Mes copines et moi entendons souvent parler de ce fameux contrat pour faire l’amour mais où le trouve-t-on ? Mes copines disent qu’il faut le faire car c’est dangereux». En discutant, je me suis rendu compte qu’elle parlait de « contraception ». Elle avait compris que, lorsqu’on avait des rapports sexuels, il fallait faire attention à la contraception !

Je ne serais pas psychologue, j’aurais tendance à raccrocher dans la moitié des cas. Or, ce genre d’appel autour de la contraception, on en fait quelque chose. Même si on a dit ce matin qu’il était important de ne pas avoir de professionnels à S.O.S Amitié ce avec quoi je suis d’accord , il est également important d’avoir des lignes où il existe des professionnels capables de comprendre les mécanismes qui se jouent à l’adolescence, afin de pouvoir répondre au mieux et entendre toutes les problématiques de l’adolescence qui se cachent derrière le discours.

Certains jeunes nous appellent pour nous dire que leur sperme est bleu ou que leur copine manque de se noyer quand ils ont un rapport sexuel avec elle tant ils émettent de sperme ! On se rend compte que, derrière cette histoire, il existe une angoisse terrible qui est celle de la norme : « Suis-je normal ? Suis-je comme les autres ? Est-il normal que j’aie peur ? Est-il normal de penser comme je le pense ? ».

Notre travail est de pouvoir l’entendre et de les rassurer.

M. Didier Falcand
Avez-vous un retour ?

M. Samuel Comblez
Nous ne faisons pas d’études sur l’impact du discours que l’on peut transmettre. En général, le jeune ne rappelle pas. On peut donc espérer qu’on l’a rassuré suffisamment, même si nous avons nous aussi nos habitués.

Cependant, des adolescents plus âgés de 16 18 ans nous appellent et posent de vraies questions, car nous avons aussi des appels sérieux : j’ai ainsi eu une tentative de suicide dimanche soir. On a fait hospitaliser la jeune fille car, en cas de situation lourde, on peut être amené à lever l’anonymat et à appeler le SAMU.

Lors de nos entretiens, pour nos statistiques, nous demandons comment la personne a entendu parler de notre service. Souvent, le jeune nous répond qu’il nous appelait à l’âge de 12 13 ans pour faire des blagues et qu’il appelle maintenant pour poser de vraies questions. Je trouve cette manière de faire intéressante. Il y a eu appropriation de Fil Santé Jeunes et la personne a trouvé là un moyen d’être écouté.

Récemment, un samedi soir, un jeune a envahi la ligne. Il rappelait sans arrêt en faisant toujours la même blague : « Attention, vite, il arrive », disait-il et il raccrochait ! Même si je suis psychologue, je suis un être humain et j’ai fini par en être agacé ; je lui ai fait part de mon mécontentement en lui disant qu’il prenait la place des autres adolescents qui ne pouvaient pas appeler. J’essaye de le raisonner et je lui demande pourquoi il agit ainsi. Il me répond en me disant « Si vous n’êtes pas capable d’entendre mes blagues, vous ne serez pas capable d’entendre rien d’autre ! Quand j’aurai un problème, si vous êtes capable de recevoir ce que je vous dis, j’aurai peut-être confiance en vous et j’oserai venir vers vous et vous faire confiance parce que vous aurez résisté ».

Que ce soit dans l’éducation nationale ou ailleurs, il faut montrer à ces adolescents que l’on est capable de résister, même s’ils connaissent une énorme fragilité, manquent de repères parce qu’il faut se réapproprier son corps face à la puberté, aux règles qui arrivent, etc. Il faut les convaincre qu’il existe aussi des adultes qui peuvent leur apporter des réponses rassurantes et vers lesquels ils peuvent aller.

C’est ce que Fil Santé Jeunes essaye de faire. Il ne s’agit pas de leur donner des conseils ; beaucoup nous appellent pourtant en nous en demandant. Nous leur répondons que leurs copains, leurs parents leur en donnent déjà et que nous n’allons donc pas en ajouter d’autres car cela ne servirait à rien.

Ce que nous essayons de faire – comme les lignes pour adultes, j’imagine – c’est de les aider à réfléchir, à ouvrir de nouveaux champs de pensée. Je leur cite souvent un proverbe chinois qui dit : « Il vaut mieux montrer à un pauvre comment pêcher un poisson plutôt que de lui en donner un pour son repas ». C’est un peu ce que l’on fait sur Fil Santé Jeunes : on leur apprend les techniques plutôt que de leur donner des conseils tout faits. En général, ils se les approprient plus ou moins mais cela ne permet pas forcément d’avancer, ni de se construire en tant qu’adulte, futur citoyen et peut-être un jour responsable de notre pays !

M. Michel Fize
Je crois que les connaissances intelligentes sont celles qui peuvent se croiser, au moins de temps à autres. Heureusement qu’il existe des tables rondes pour le faire, sinon les occasions manquent !

Derrière tout cela, j’entends différentes choses qui renvoient aux questions sociales, qu’il ne faudrait pas oublier.

Je crois qu’il existe une fonction de défouloir importante que remplit Fil Santé Jeunes et qu’ont pu remplir certaines radios à certaines époques qui ont été inutilement et injustement stigmatisées, comme Fun Radio, qui comptait pourtant un médecin très sérieux à l’antenne, que je connais par ailleurs...

M. Samuel Comblez
Il fait partie du conseil d’administration de Fil Santé Jeunes !

M. Michel Fize
Je pense que les adolescents – c’est ce qui les caractérise le mieux – sont dans une insécurité permanente et ont donc un besoin essentiel qui prime à mon avis sur tous les autres, celui d’être rassurés. Nous sommes des réassureurs professionnels ou personnels !

Dans une situation sociale précaire à l’école et, pour certains, en famille, ce besoin de s’amuser permet d’aller vers des choses plus sérieuses.

Je pense que la violence est sans doute une sur-préoccupation d’adulte mais néanmoins une réalité d’adolescent, presque une banalité. Il est d’ailleurs préoccupant qu’un certain nombre de conduites violentes, ne seraient-elles que verbales, font partie de l’ordre des choses. On interrogeait d’ailleurs hier ces jeunes filles délinquantes pour connaître les raisons de leur violence. Elles répondaient : « Il le faut bien si l’on veut se faire respecter. On ne peut pas faire autrement ». On a l’impression d’une sorte d’impasse sociale dans laquelle se retrouve un certain nombre de jeunes.

La question du vocabulaire m’a beaucoup moins amusé ! Je pense qu’il existe une carence majeure de vocabulaire. Si un nouveau droit devait être institué pour les jeunes, ce serait un droit à un vocabulaire permettant de faire des phrases, derrière lesquelles on peut loger des idées, ce qui détourne de la violence !

Il faudrait se saisir de ces opportunités que représentent certains contresens. Il existe aussi des adultes dans cette situation. Il y a là un vrai problème d’apprentissage des fondamentaux scolaires, qui ont été quelque peu oubliés.

Quant à la normalité, les adolescents ne sont pas seuls à la rechercher ; ils ont toujours le souci d’être le plus possible dans la performance corporelle et psychique.

M. Didier Falcand
Nicole Viallat voulait mettre l’accent sur une initiative de S.O.S Amitié, celle des « chats » Internet pour les jeunes.

Mme la présidente
Je voudrais vous faire part modestement de notre expérience sur Internet. Pour ce qui est de la messagerie, tout d’abord, les gens nous écrivent chaque jour et nous répondons sous 24 heures. On trouve là des jeunes mais pas trop, pas plus qu’au téléphone. On compte environ 2 à 3 % de jeunes au téléphone.

Pour ce qui est du chat, on en compte jusqu’à 20 % mais on n’écoute qu’une fois par jour durant 4 heures. On en aurait donc beaucoup plus si on écoutait davantage. On n’a pas tellement de plaisanteries.

Je voulais revenir sur l’ambiguïté des mots évoquée ce matin. Parfois, il n’y en a aucune et on prend les mots en pleine face. Les principaux problèmes sont bien sûr les parents, l’école, le relationnel : « Personne ne veut de moi », « Je suis moche », « Ma copine veut se suicider. Que faut-il faire ? ».
C’est encore du domaine du classique. Ce qui m’a beaucoup frappée et émue, ce sont ces jeunes filles de 11 12 ans qui s’automutilent et qui nous écrivent en nous expliquant ce qu’elles font. On leur demande pourquoi. Elles répondent : « Je le ferai jusqu’à ce que l’on s’en rende compte ». Cela signifie que l’entourage ne le voit pas, ne peut pas le voir. Il faut donc qu’elles le crient, qu’elles nous le hurlent. Ces messages sont très forts quand on les reçoit. C’est assez troublant.

C’est donc une violence que les adolescents s’infligent à eux-mêmes. Ce sont sûrement des gamins très calmes mais lorsqu’ils sont seuls, ils passent à l’acte. Parfois, ils avouent qu’en écrivant, ils sont en train de s’automutiler. Imaginez notre panique ! C’est une expérience que je voulais vous faire partager.

M. Didier Falcand
Statistiquement, y en a-t-il de plus en plus ?

Mme la présidente
Je ne sais pas mais, jusqu’à présent, on ne l’avait jamais entendu. Je ne sais si vous en avez entendu parler. C’est très angoissant pour nous. Cette automutilation n’est peut-être pas suicidaire mais ce ne sont pas des appels très simples pour nous.

M. Didier Falcand
J’imagine que ce sont des appels au secours…

Mme la présidente
Bien entendu ! On a du mal à les gérer. Il nous est déjà arrivé d’avoir au téléphone quelqu’un qui nous dit : « J’ai pris des cachets. Mes parents vont s’en rendre compte ! ». Au fur et à mesure de la conversation, la personne commence à paniquer : « Vous croyez que je vais mourir ? ». On leur demande s’ils sont seuls et ils répondent : « Ma mère est à côté. Vous croyez que je peux aller lui en parler ? ». « Bien sûr ! Allez-y ! Ce serait mieux » !

Dans ce cas, on est soulagé mais, face à l’automutilation, on est un peu démuni.

M. Samuel Comblez
Je ne saurais dire s’il y en a plus qu’auparavant. Nous avons régulièrement des appels de ce type. On a parlé de la violence dirigée vers d’autres mais peu de celle dirigée contre soi-même.

On peut connaître cette situation à l’adolescence, soit avoir des troubles du comportement alimentaire, des scarifications, des pratiques à risques quelles qu’elles soient, prises de toxiques, tout ce qui peut mettre le corps en difficulté. Ce sont des appels qui sont effectivement lourds et récurrents.

M. Didier Falcand
La simple écoute n’est peut-être pas suffisante.

M. Samuel Comblez
Oser prendre son téléphone pour en parler est déjà un premier pas. On est toujours surpris -vous l’êtes certainement aussi – que quelqu’un qui a envie de se suicider nous appelle. Cela paraît paradoxal. Si l’on prend des médicaments pour se supprimer, on ne va pas aller chercher de l’aide quelques instants après ! Dans le cas de scarifications ou autres on se dit que s’il y a un appel, c’est qu’il existe peut-être une envie de s’en sortir. C’est peu de choses. L’idée, autant que faire se peut, est de réfléchir avec l’adolescent sur la place que peut avoir cette scarification. Sur Fil Santé Jeunes, on reste évidemment humble par rapport à l’apport que l’on peut avoir.

Quand la situation y oblige, nous essayons de faire en sorte que le jeune soit suivi dans une structure en face-à-face, CMP, Accueil Ecoute Jeunes, hospitalisation éventuelle. La téléassistance psychique a bien évidemment ses limites ; même si c’est une première phase de réflexion, il faut à un moment passer la main. C’est incontournable.

Mme Geneviève Piniau
Lorsque les appels au secours sont exprimés, il est relativement facile d’y répondre. C’est tout ce qui ne se dit pas qui ressort en scarifications.

La dernière mode, qui remonte à 2 ou 3 ans, est le « binge drinking ». A 8 h 30, le matin, nous avons déjà ainsi ramassé trois jeunes filles de seconde devant le lycée. Elles étaient en plein coma éthylique !

Dans ce cas, on appelle le SAMU qui les emmène à l’hôpital, où les parents vont les rechercher. C’est la suite qui est importante. On ne sait pas traiter ce genre de choses et on le laisse à des spécialistes. Nous ne nous aventurons pas sur ce terrain, pas même nos infirmières !

Il existe d’autres appels au secours que l’on a appris à entendre au lycée Robert Doisneau, comme le fait de ne pas rendre son devoir alors que tout le monde le fait. Pourquoi un enfant ose le faire ? Je ne sais pas l’analyser mais il faut être courageux pour faire face à une classe et dire : « Je ne l’ai pas fait ! ».

Qu’est-ce que cela veut dire et que va-t-on faire ?

On a plein de solutions mais nous faisons venir systématiquement l’enfant dans mon bureau. Je ne m’occupe que des secondes ; je ne parle donc que des secondes. On lui demande ce qui s’est passé. Il peut y avoir des causes extrêmement sérieuses : l’oncle est arrivé d’Algérie ; cela a été la fête dans la famille, etc. On leur demande donc de prendre le temps de le faire.

D’autres disent : « Je n’en ai pas envie ». On leur demande pourquoi. Après, on ne sait plus quoi faire. Qu’est-ce qui se cache derrière ? On peut faire des interprétations mais c’est très dangereux quand les choses ne se disent pas clairement. On devient du coup extrêmement attentif à cet enfant qui, à un moment donné, transgresse doucement les choses, sans violence mais qui se met en réel danger car il va avoir un zéro. Quelle va être sa moyenne s’il n’y a que trois notes dans le trimestre.

Les scarifications, nous en avons eu une fois. On ne sait pas régler ce problème. On transmet à des spécialistes et on informe les parents.

M. Didier Falcand
En parlez-vous en classe ?

Mme Geneviève Piniau
Non. Cela reste entre l’adolescent et nous. Ils savent que nous sommes tous soumis au secret professionnel. Ils savent ce que cela veut dire. Même certaines choses qui se disent en conseil de classe ne sortent pas du bureau. Il faut qu’ils en soient convaincus.

Pour aborder un sujet plus léger, nous étions en réunion de direction dans mon bureau ; on entend dans le couloir une voix très forte dire : « Va te faire enculer par ta mère ! ». J’ouvre ma porte et je vois trois belles jeunes filles. Je demande : « Qui vient de proférer l’horreur que je viens d’entendre qui me fait dresser les cheveux sur la tête ? ». Elles me regardent et me répondent : « Mais on n’a rien dit ! ».

L’une de vous a dit : « va te faire enculer par ta mère » ! ». Elles me regardent et me disent : « Ce n’était pas pour vous, Madame ! ».

Elles n’ont même pas le sens de ce qu’elles disent ! Pour être comme tout le monde, il y a une sorte de norme qui s’installe. Il faut être en jeans, tee-shirt et sweat ! On dit qu’il n’y a pas d’uniformes : il n’y a jamais eu autant d’uniformes qu’en ce moment. Au lycée Robert Doisneau, où nous faisons la journée de la jupe – c’est pour nous très important – c’est une vraie problématique !

Voilà le vocabulaire qu’elles empruntent aux garçons mais qu’elles adaptent : « Va te faire enculer par ta mère », c’est quand même plus joli…

M. Michel Fize
Parfois elles n’adaptent pas. On connaît le : « Je m’en bats les couilles ! »…

Mme Geneviève Piniau
Oui. « Mais comment fais-tu, toi ? »… dit au collègue, une petite sixième qui devait avoir 18 de moyenne. Sur le plan scolaire, c’était une excellente élève, habillée comme on le rêve jupe plissée bleu-marine et col Claudine.

Cela n’existe plus, c’était il y a dix ans ! La petite était tellement grossière dans son quotidien que cela gênait les professeurs. Lorsqu’on a reçu les parents pour remettre les bulletins, ce qui se faisait régulièrement dans nos collèges, j’ai demandé aux professeurs de ne parler que des bons résultats et de m’envoyer ses derniers pour que je leur parle du problème du langage.

Il n’y avait qu’une maman, policier. Elle s’installe en face de moi avec sa petite fille. « Votre petite a des résultats exceptionnels et je vous en félicite vivement mais il y a une chose qui ne va pas ! Elle a un langage ordurier. J’espère que ce n’est pas comme cela chez vous ! ». Elle se lève et met les poings sur les hanches : « La salope de petite conne ! Je lui avais pourtant dit de fermer sa gueule ! »…

Dont acte !

M. Didier Falcand
Y a-t-il des questions ?

Un intervenante
Mme le Proviseur a-t-elle des problèmes d’absentéisme parmi ses élèves ?

Mme Geneviève Piniau
Non.

Une intervenante
Et parmi ses professeurs ?

Mme Geneviève Piniau
Encore moins ! On ne peut être un modèle si on ne se comporte pas soi-même de façon exemplaire.

Lorsque je suis arrivée dans ce lycée, on a beaucoup travaillé sur l’absentéisme et les retards. Ils habitent en face. Il y a la RN 7 à traverser. Pensez si c’est loin !

On a décidé d’accepter que les élèves – que les bus qui transportent ceux qui arrivent de plus loin- arrivent jusqu’à 8 heures 40. Après cela, on n’a plus aucun retard dans la journée et pas plus pour les professeurs. Il n’y a donc plus de retards et plus d’absences !

Toutefois, on est aux grilles tous les matins ; on pratique un accueil personnalisé. On est disponible. On montre aussi l’exemple, que nous sommes là.

J’ai pris depuis très longtemps l’habitude d’accueillir, dire bonjour et apprendre aux enfants à me rendre ce bonjour. Si je les rencontre dix fois dans la journée, j’ai le droit dix fois au bonjour et je réponds à chaque fois mais j’aime mieux cela, surtout dans un très grand lycée. C’est très important, il faut le reconnaître. Je me suis aperçue que le fait que le chef d’établissement soit à la grille ne rassurait pas les élèves mais les enseignants ! Je suis là, tout va bien !

C’est aussi l’esprit de la maison. Le lycée est ouvert de 8 heures du matin jusqu’à 19 heures tous les soirs, avec des enseignants, CDI compris et les professeurs sont là !

Une intervenante
Vous êtes un modèle !

Mme Geneviève Piniau
Non, c’est le quartier qui y fait et la difficulté qui fait ce que l’on est. Cette pratique n’a aucun sens à Louis Le Grand ! C’est une question d’autonomie des établissements en fonction des publics que l’on reçoit.

Un intervenant
Ce n’est pas le cas dans tous les établissements, qui devraient avoir cette espèce de rigueur et de compréhension !

Mme Geneviève Piniau
Je ne sais pas…

M. Michel Fize
Nous sommes à Robert Doisneau. Il est vrai que l’absentéisme est devenu un vrai problème dans l’éducation nationale. Il obéit à plusieurs raisons. Il peut y avoir un désintérêt pour l’école…

Mme Geneviève Piniau
L’école manque de sens pour certains !

M. Michel Fize
Elle a aussi perdu en termes de potentialité de création d’avenir. Pourquoi va-t-on à l’école quand on a, à côté de soi, de grands frères ou de grandes sœurs au chômage depuis des lustres et qui l’ont toujours été ?

Il peut aussi y avoir un absentéisme sous forme de « zapping » de certains cours, non pour s’amuser mais pour travailler, ce qui pose un problème d’autonomie et de moyens d’existence que n’ont pas les adolescents qui sont toujours, en France, à la charge des familles.

Cela dresse une cartographie de la France qui doit permettre de poser la question du sens de l’école, de la reformation de l’école afin de donner, comme ce devrait être partout le cas, une réussite à chacun.

C’est un slogan qu’on devrait convertir partout. Nul ne devrait pouvoir sortir de l’école sans un bagage qui lui trace un destin.

Enfin, s’agissant du vocabulaire, il y a effectivement une carence de vocabulaire ordinaire et un excès de mauvais vocabulaire qu’il faut extirper. Je pense que nous n’assumons pas notre rôle d’adulte.

Beaucoup s’en amusent mais, ne serait-ce que pour recouvrer de la dignité, il faudrait pouvoir s’en dispenser et faire comprendre que l’on ne peut vivre en société de façon conviviale si l’on n’a pas le langage adapté. Le langage produit le bon comportement !

Mme Geneviève Piniau
Il faut tout entendre et reprendre systématiquement.

M. Samuel Comblez
Il n’est pas si facile pour les adolescents d’être repris. Quand un adolescent me demande : « Comment dois-je faire pour baiser ma copine », je lui réponds : « La question n’est pas très poétique, jeune homme ! Il peut y avoir une autre manière d’aborder les choses ! ». Souvent, suit un silence...

M. Michel Fize
On oublie une chose essentielle et majeure : l’adolescence est un phénomène de groupe et il existe une sorte de conformisme qui s’installe.

Je l’ai vérifié pour ce qui est du collège : c’est une chape de plomb ! Ce que vit aujourd’hui un collégien est terrible de ce point de vue.

 Une intervenante
Vous disiez que Fil Santé Jeunes reçoit 1.400 appels par jour et que vous n’en traitiez que la moitié. Pourquoi ?

M. Samuel Comblez
En effet, les 50 % restant sont des blagues, des scénarios, des mises en scène.

Certaines jeunes filles nous expliquent qu’elles sont enceintes ; à la voix, on entend qu’elles ont 12 ans.

Elles nous racontent qu’elles ont été violées par leur professeur de sport à la sortie du cours. Il y a là tout un fantasme sur l’envie de maternité, les premières règles, les pulsions sexuelles qui commencent à arriver, etc. Il faut écouter cela avec prudence. Toutes ne sont pas capables de pouvoir entendre le discours que l’on tient. C’est pourquoi il est important de savoir à qui on a affaire en termes d’âge et de maturité psychique. Souvent, elles disent avoir 25 ans ou 18 ans mais elles ont 10 ans de moins ! Charge à nous de pouvoir transmettre un message, avec la prudence nécessaire pour ne pas transmettre un message à une jeune fille de 12 ans alors que c’est à une jeune fille de 25 ans qu’on voudrait l’adresser !

Ces appels sont parfois perdus parce que les jeunes raccrochent quand on essaie de leur faire prendre conscience de la réalité ou de faire passer un message de prévention. Ce n’est pas ce qu’elles attendent.

Ce qu’elles veulent, c’est fantasmer avec un adulte autorisé et le tester.

A Fil Santé Jeunes, les deux pics d’appel sont à 10 heures et 15 heures car, dans tous les collèges de France et les lycées, on trouve des cabines téléphoniques. Ils se mettent à 8 dans la cabine et font appeler. Quand il y en a un, on essaye de faire un appel à contenu en tentant de faire passer des messages de prévention mais, quand ils sont 8 et que le but du jeu est uniquement de déverser le maximum d’insultes, c’est difficile à gérer, surtout avec un bruit de fond énorme. Nous avons des casques et c’est parfois insupportable. Il est difficile d’entretenir une relation et malheureusement, pour la protection des écoutants, on est obligé de raccrocher.

Une intervenante
Pourquoi considérez-vous comme non traités les appels pour lesquels vous n’avez pu faire circuler votre message de prévention ? Du moment que la personne a appelé et que vous avez essayé d’instaurer un dialogue, ce n’est pas un appel que vous n’avez pas traité.

M. Samuel Comblez
Je me suis mal exprimé. Je n’ai pas forcément d’objectif et je ne cherche pas à en atteindre. Quand j’ai un adolescent au téléphone, l’important pour moi est de l’aider à penser. Si j’ai pu faire bouger sa manière de réfléchir, pourquoi pas ?

Une intervenante
Si vous avez au bout du fil une adolescente de 12 ans qui raccroche parce qu’elle ne veut pas entendre ce que vous lui dites, ce n’est pas pour autant que vous n’avez pas traité l’appel.

 M. Samuel Comblez
Pour moi, c’est un appel incomplet. On peut renseigner la base informatique et dire que l’on a transmis un message. L’exemple que vous citez, pour moi, est un appel à contenu.

M. Michel Fize
Il faut peut-être aussi rappeler qu’écouter, c’est savoir se taire. Lorsqu’on se tait, on est aussi dans le traitement.

Une intervenante
C’est ce que je veux dire…

M. Samuel Comblez
Il y a aussi les abandons sur poste. On décroche et le jeune raccroche. C’est beaucoup plus fréquent que vous ne l’imaginez.

Notre numéro est le 32 24 ;
Darty, c’est 32 34 ; « Questions pour un champion », 32 44 ; Free Box, 32 54 ; SOS-Médecin, 32 64.
Vous ne pouvez imaginer le nombre de personnes qui se trompent ! Si les gens de la Somme ou de l’Oise oublient de faire le 0, la majorité des numéros commençant par 0 32 24, ils tombent chez nous ! Ce sont de faux appels. Tout cela fait une masse qui est à peu près de 50 %.

Bien entendu, quand on transmet un message, aussi infime soit-il, il s’agit d’un contenu.

Une intervenante
Est-ce un numéro gratuit ?

M. Samuel Comblez
Il s’agit d’un numéro gratuit d’une ligne fixe ou d’une cabine téléphonique, même sans carte, mais payant d’un portable. Nous avons un numéro en 01 pour que l’appel ne soit pas surtaxé.

Une intervenante
M. Fize a dit, sur le ton de l’évidence, que l’on vivait dans une époque de violence. Or, nous venons tous du XXième siècle qui se caractérise entre autres par deux guerres mondiales extrêmement cruelles, une grande dépression qui a entraîné misère, chômage sans aucune prestation de sécurité sociale à l’époque et des valeurs d’éducation des enfants en grande partie fondées sur la fessée, les punitions, voire pire. De quelle violence parlez-vous donc ? A quelle époque faites-vous référence ?

M. Michel Fize
Le terme de « violence » n’est peut-être pas le plus adapté. Peut-être aurais-je dû employer celui d’insécurité, sentiment revenu en force. Ce qui me paraît caractériser la société aujourd’hui, c’est l’imprévisibilité de la violence qui, peut-être plus qu’autrefois, peut surgir de n’importe où, n’importe quand, pour n’importe quoi. Ceci peut accroître ce sentiment d’insécurité, dans les transports en particulier.

Quand on étudie les phénomènes de violence, on voit bien qu’il y a de plus en plus inadéquation entre le fait qui a conduit à la violence et la riposte par rapport à ce fait. Un mauvais regard, une cigarette refusée et vous pouvez aujourd’hui être agressé sévèrement. Les enquêtes de police montrent que là où, autrefois, on aurait simplement utilisé les poings, on sort maintenant une arme blanche. Je ne généralise pas surtout pas mais cela peut arriver. C’est ce qui peut donner ce sentiment d’une violence largement diffuse, cachée, tapie, mais pouvant sortir sans que l’on n’y prenne garde.

Une intervenante
Je suis d’origine étrangère et j’ai eu beaucoup de difficultés à apprendre la langue française à cause de sa richesse, de sa subtilité mais aussi du fait du carcan du langage dans lequel il fallait s’exprimer pour être comprise.

Quand j’étais étudiante, ma joie consistait à parler dans un langage ordurier qui vexait ma belle-mère française que j’aime beaucoup. C’était pour moi une façon de me démarquer, de m’affirmer. Jusqu’à aujourd’hui, lorsque je me trouve dans un milieu intello-gaucho-anarchiste, mon plaisir est de parler ce langage « incorrect ». Je trouve qu’il s’agit d’une sorte de défoulement qui n’est pas dangereux : je ne vexe personne puisque nous sommes entre nous.

J’ai l’impression que les enfants qui utilisent ce langage donnent libre cours à l’invention, même si ce sont des mots très crus. A la télévision, tous les films américains font usage d’une vitesse, d’une rapidité et d’une violence qui va dans le même sens.

Je suis venue en France avec l’idée idyllique d’un pays cultivé, courtois ; j’en ai profité mais la réalité ne correspond plus à cette image. J’ai l’impression que cela va de pair avec le confort et les habitudes de consommation que l’on a gagnées. La langue française perd de son côté truculent, vulgaire, attractif, dynamique si elle est trop policée !

Mme Geneviève Piniau
La grande différence, c’est que vous connaissez le langage policé et que vous savez utiliser à propos un langage différent. Nos enfants –hélas- ne connaissent que le langage vulgaire et non plus les mots de la langue policée !

M. Michel Fize
Nous avons aussi changé d’époque : ce langage n’est plus un langage d’opposition aux adultes. Il n’est pas fait pour déranger : c’est aujourd’hui un langage en vase clos, communautaire.

Je crois, pour reprendre un terme qui convient bien ici, qu’il s’agit d’une excitation entre soi. Je ne suis pas certain que cela avive la convivialité de l’entre soi. C’est une excitation contre les autres. On a au moins deux bonnes raisons de lutter contre ce langage, je le dis en tant que sociologue : il ne permet ni de vivre dans la socialité, ni dans une certaine harmonie.

M. Samuel Comblez
Une étude, il y a quelques années, a tenté de trouver le déterminant qui permet la réussite sociale : intelligence, milieu social, etc. On a ainsi étudié des cohortes de personnes. Le facteur que l’on a trouvé est la maîtrise de la langue. Quand vous maîtrisez une langue, vous avez plus de chances de réussir à séduire ou à vous faire des amis en fonction du niveau de langage. Quand on est arrêté par la police, on est capable de négocier sans agresser le policier, en ayant une capacité de recul par rapport au langage.

Quand on lit son premier contrat de travail, on est sûr de comprendre chaque intitulé, etc.
Il m’arrive aussi de rappeler aux adolescents -sans le formuler ainsi- l’importance de la langue française et de sa maîtrise. Il est important de leur montrer que les bases permettent de jouer de ces différents niveaux de langage.

Un intervenant
J’ai été impressionné par la nouvelle définition de l’âge de l’adolescence. Je suis psychanalyste. L’une des caractéristiques de ce métier est d’avoir le temps. De combien disposent donc les adolescents de notre époque pour grandir à leur rythme ? Je trouve un peu triste l’urgence que le monde environnant communique aux enfants, aux adolescents et même aux adultes.

Mon autre question concerne l’excitation. Il est étonnant de constater à quel point nous vivons dans le monde de l’excitation, sans zone de silence, celui-ci devenant presque une zone de mort où plus rien ne vit. Les soirées des adolescents, du fait de la musique, de ce qu’ils boivent et de ce qui s’y passe, constituent une excitation collective impressionnante. Pouvez-vous m’éclairer sur ce processus de maturation qui me paraît fondamental pour naître et grandir et sur cet environnement peu sûr très inquiétant ?

M. Michel Fize
Pour ce qui est du processus de maturation, on est encore protégé par la barrière de l’âge de raison. Les grands apprentissages de l’enfance se déroulent durant les sept premières années langue, marche, premiers rudiments de raisonnement.

Cela se complique entre 6 et 10 ans ; on est là dans une zone qui va nous obliger à repenser la définition de cette grande enfance. On peut déplorer avec vous que l’enfant n’ait plus le temps d’être un enfant, de faire tout ce qu’il a à faire en tant qu’enfant mais on est aussi soumis au principe de réalité selon lequel la puissance commerciale, du fait de ses attributs vestimentaires et autres, pousse l’enfant à s’identifier à un âge supérieur au sien.

En tant que sociologue, je ne puis que prendre acte que les choses sont ainsi. Cela conduit à s’interroger sur la fonction prochaine de parents d’enfants de 6 à 10 ans. Ce sera là le maillon faible du processus éducatif. Avant, on s’en tirait comme on le faisait auparavant mais ensuite, que vont faire les parents et les éducateurs face à des garçons et à des filles qui ne vont plus vouloir être traités comme des enfants ?

Encore une fois, la puissance sociale et commerciale, relayée par les médias, est telle qu’on ne voit pas comment les enfants pourraient échapper à cette maturation raccourcie !

M. Samuel Comblez
Je vous rejoins sur le problème du temps. Plusieurs problèmes se posent. Le temps de l’adolescence, c’est aussi celui de l’acceptation de la puberté. Cela fait partie des différentes étapes que l’adolescent va devoir traverser. Le problème vient d’eux-mêmes dans la mesure où les études montrent que la puberté commence de plus en plus tôt dans nos pays développés, que les jeunes filles sont pubères et réglées de plus en plus tôt. C’est un réel problème puisque la question d’aujourd’hui est de savoir comment vivre avec les autres. Quand on est adolescent, il faut apprendre à vivre avec soi-même, dans ce nouveau corps qui va être le nôtre.

Pour une fille, il est très compliqué et paradoxal d’avoir, à 12 ans, un corps sexué, parfois formé et réglé, de ressentir ses premiers émois sexuels et amoureux. Il faut cependant rappeler que la majorité sexuelle, en France, est à 15 ans même si cela nous déplaît.

Au téléphone, dans le travail que je mène, l’objectif est parfois d’apprendre aux jeunes à attendre et à faire en sorte que ces différentes étapes puissent se mettre en place, même si l’adolescence est le temps du pulsionnel, de l’immédiateté et qu’on a envie d’aller vite.

Demandez à un adolescent à quand remonte la dernière fois où il s’est ennuyé. C’est quelque chose de l’ordre de l’insupportable, de l’ordre de la mort, quelque chose qu’on ne peut s’autoriser ! Or, l’ennui fait partie de la vie. Dès leur plus jeune âge, on sollicite les enfants à outrance pour gagner du temps. Je ne sais pas sur quoi. Je ne sais pas quel est l’intérêt de procéder ainsi mais il faut être sans cesse dans une activité permanente.

M. Michel Fize
On retrouve là un problème qu’avait su esquiver ou traiter les sociétés dites primitives : il s’agit de l’absence de coïncidence entre maturité physiologique et sexuelle et maturité sociale.

Dans les sociétés anciennes, on faisait se concilier les deux. Quand on était apte à la procréation, on procréait ; quand on était apte à la prise de responsabilité, on prenait la responsabilité. On est dans le flou : on fixe la majorité sexuelle à 15 ans et la majorité civile à 18 ans avec, entre les deux, le délit de détournement de mineurs.

La situation des 15-18 ans est particulièrement trouble, compliquée et hypocrite : la société interdit sans vraiment interdire, les parents autorisent sans vraiment autoriser. Il y a là un autre problème sur la question des majorités.

M. Samuel Comblez
La société interdit et excite en même temps sur le plan commercial. On le voit dans les soirées de lycéens où l’alcool est transmis de manière détournée : c’est de l’alcool sans en être vraiment. Il est compliqué de trouver sa place en tant qu’adolescent face aux difficultés de repérage qui existent entre les messages envoyés dans un sens et la réalité contradictoire. Si les adolescents ont parfois du mal à trouver leur place, on peut le comprendre.

Un intervenant
Je voudrais parler des parents de ces adolescents : où sont-ils ? Quelle attitude ont-ils avec eux ? On n’a pas jeté ces jeunes dans la société !

Dimanche, j’étais en conversation avec des parents ; le père disait qu’il donnait du shit à ses enfants ! Il leur expliquait mais il ne leur disait pas non !

Mme Geneviève Piniau
Je connais des parents qui ont une grande théorie sur le shit festif et l’addiction. En famille, c’est festif et autorisé ; les bras m’en tombent !

Il s’agit d’une seule famille sur les 2.000 que je vois mais, très sérieusement, elle fait la démonstration que le shit du samedi est festif. « Dans le sud, ils boivent du Pastis ; nous, on prend du shit ! ».

M. Samuel Comblez
Le cannabis est davantage véhiculé dans le clan familial qu’à l’école. Les études ont déterminé que c’est dans le domaine de la famille qu’ont lieu les premiers contacts avec le produit.

M. Didier Falcand
On va arrêter là le débat en remerciant les participants.