Table ronde sur l’écoute à l’hôpital

Télécharger le compte-rendu complet de la 1ère Journée Nationale de l’Écoute du 6 octobre 2010.

Serge Tribolet est psychiatre des Hôpitaux, Docteur en Philosophie et titulaire d’un DEA de psychanalyse. Il est responsable d’une unité d’hospitalisation, enseignant et conférencier. Il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés dont «Précis de sémiologie des troubles psychiques», «Guide pratique de psychiatrie», «Droit et psychiatrie». Il a récemment publié «l’abus de «psy» nuit à la santé» aux éditions du Cherche-Midi, «Freud, Lacan, Dolto enfin expliqués» aux éditions l’Esprit du temps, «Plotin et Lacan, la question du sujet» aux éditions Beauchesne et tout récemment «Bien réel, le surnaturel et pourtant…» aux éditions Alphée. Dans le numéro d’été 2010 de la revue «Nouvelles clés», il répond aux questions sur l’inconscient, la pensée, la folie etc.

Jean-Claude Monfort est ancien praticien hospitalo-universitaire, psychiatre, neurologue par l’Internat des hôpitaux de Paris, gériatre par la capacité de Gérontologie et Directeur pédagogique de l’AFAR (Action Formation Animation Recherche). Il est en particulier l’auteur de «La Psychogériatrie» aux éditions Que sais je? (PUF) et Directeur de publication avec Isabelle Hourdé des «Outils pour les entretiens d’aide et de soutien psychologique» ouvrage en 2 tomes destiné à tous les professionnels amenés à se trouver en situation d’échange ou d’entretien auprès de personnes souffrant de difficultés psychologiques ou de troubles psychiatriques.

Françoise Guénard est une bénévole de l’association «Vivre Comme Avant» qui est composée de femmes ayant vécu un cancer du sein. Elles apportent soutien et écoute aux patientes atteintes de ce cancer, à l’hôpital et pendant les traitements. Vivre comme Avant est une association nationale, loi de 1901, soutenue par la Ligue Contre le Cancer et agréée par le Ministère de la Santé pour représenter les usagers. Françoise Guénard en a été la vice-présidente pendant huit ans.

Christelle Devoucoux, est infirmière en bloc opératoire à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Sa formation a porté à la fois sur les soins chirurgicaux et sur les soins psychiatriques. Tant dans sa fonction propre que dans les formations qu’elle est amenée à pratiquer, elle attache beaucoup d’importance à l’écoute des patients dans la pratique des soins.


Daniel Boissaye réside actuellement en Touraine. Cardiologue de formation, il a fait sa carrière au sein de l’industrie pharmaceutique dans la recherche, l’innovation et le management, puis a fondé en 1996 un des tout premiers Cabinets de Conseil spécialisés dans la création de réseaux de soins. Cette riche expérience humaine lui donne l’envie, à la veille de prendre sa retraite en 2004, d’entrer à S.O.S Amitié Touraine, où on lui confie d’emblée la Présidence. En 2007, il est élu Président Fédéral de S.O.S Amitié France. «Je suis en admiration devant le travail des écoutants : des qualités humaines qui amènent à s’engager concrètement pour les autres, pas seulement dans le quotidien, mais d‘aller plus loin, dans l’intimité de l’être, par l’écoute bienveillante, anonyme et sans jugement, de la personne. En fait, je suis tombé amoureux de S.O.S Amitié… vraiment ! Elle n’est pas suffisamment connue, il y a un gros travail à poursuivre à ce niveau...»

Didier Falcand en 1987, après une formation générale scientifique,intègre la rédaction du «Figaro Rhône Alpes». Il y gère les pages environnement et santé, puis devient responsable des informations générales. Il entrera en 1992 au groupe «Liaisons» puis en 1995 au magazine «Stratégie dont il deviendra le rédacteur en chef. En novembre 2004 il crée le bimestriel «les Clés de la presse“ qui a pour vocation de décrypter l’évolution et les tendances de tous les secteurs de la presse, de participer aux débats sur l’avenir de la profession et de fournir toute l’actualité sur les principaux mouvements des hommes et des entreprises. Journaliste accompli, il a accepté d’animer pour S.O.S Amitié, cette journée sur un thème particulièrement dans l’air du temps.

 

M. Didier Falcandjournaliste, animateur
Après l’écoute des adolescents, nous allons aborder l’écoute à l’hôpital et dans les centres de soins par le biais de cette question : comment concilier l’écoute des patients et l’exigence thérapeutique ?

Les cinq intervenants autour de cette table sont le docteur Serge Tribolet, Psychiatre des Hôpitaux, Docteur en philosophie, Responsable d’une unité d’hospitalisation à Paris ; le Docteur Jean Claude Monfort, Psychiatre des Hôpitaux, gériatre et neurologue, Directeur pédagogique de l’AFAR (Formation des personnels de santé) ; Mme Françoise Guénard, de l’association « Vivre comme avant » dont les bénévoles suivent à l’hôpital des patientes atteintes d’un cancer du sein ; Mme Christelle Devoucoux, infirmière en salle d’opération ; le Docteur Daniel Boissaye, Président de S.O.S Amitié France.

La parole est au docteur Tribolet.

M. Serge Tribolet
Je suis psychiatre dans un service parisien, où j’ai plus affaire avec les patients délirants, dans le cadre général de la psychose, des schizophrénies, etc., qui constituent les situations adéquates pour bien distinguer les différents types d’écoute. On peut en effet écouter quelqu’un sans jamais l’entendre et il faut donc bien déterminer ces types d’écoute.

La philosophie est également un élément de mon parcours ; elle m’est absolument nécessaire. Lorsque j’ai présenté mon doctorat de philosophie, beaucoup de mes confrères pensaient que j’allais quitter l’hôpital pour enseigner. Or, il ne s’agissait pas pour moi d’abandonner la psychiatrie mais de m’y investir davantage encore. Je considère en effet que les concepts philosophiques et en particulier métaphysiques sont plus opérants que les concepts de la psychologie pour entendre ce qui se dit dans la folie et dans un grand nombre de situations et de souffrances.

Aujourd’hui, les grandes orientations de la psychiatrie relèvent de la psychanalytique ainsi que de la psychologie, en particulier cognitive.

Cela donne l’idée qu’il s’agit de deux écoutes différentes. Lorsqu’un patient exprime sa souffrance, nous sommes là pour comprendre ce qui se passe, dans une écoute active ou passive. En latin, le mot pour « écouter » et « ausculter » est le même. On essaye de tout repérer, avec l’idée de comparer, de confronter. Tous les sens du mot « écoute », depuis le XIIème siècle, sont très intéressants et sont passés dans le vocabulaire juridique et médical.

Cette écoute relève du domaine de la compréhension mais « comprendre » est aussi un mot qui signifie « fermé, prendre dans ». Il faut certes passer par la compréhension mais, si l’on se borne à vouloir comprendre, on ne peut que constater que le patient délirant dit n’importe quoi. Or, entendre, c’est tout au contraire s’apercevoir que, s’il existe un moment dans la vie où l’on ne dit pas n’importe quoi, c’est bien dans le délire qu’il réside et dans un certain nombre de situations que vit chacun solitude, souffrances, instants de la vie quotidienne.

Pour bien faire entendre la différence entre « écouter » et « entendre », il faut reprendre la technique de Freud, qui allongeait ses patients sur un divan en leur demandant de lui raconter tout ce qui leur passait par la tête. La grande découverte de la psychanalyse, c’est que nous sommes des êtres langagiers et que les différents types d’écoute sont absolument nécessaires ! C’est pourquoi écouter et entendre reste une base de la psychanalyse et de la philosophie.

Raymond Devos a dit beaucoup de choses à ce sujet ; il demandait en particulier qu’on lui prête une oreille attentive. «Lorsqu’on prête l’oreille, on entend mieux. C’est faux », disait-il : « J’ai prêté l’oreille à un sourd, et il n’entendait pas mieux ».

Comprendre constitue une limite ; c’est être attentif au sens. Cela relève de la science positiviste, qui découpe les choses.

Ce type d’écoute scientifique, médicale, je suis obligé de passer par là en tant que médecin. Ce type d’écoute repose sur deux protagonistes. Un autre type d’écoute dépasse la signification. Il est très difficile, en français, d’employer un mot pour désigner cette écoute. Je pensais que l’on pouvait rapprocher le mot « écouter » du mot « entendre ». Si je vous dis : « Do, si, sol, fa, ré, do, si, mi, ré, do », vous allez me dire que ce sont des notes de solfèges. Celui qui entend dira : « Non, c’est Mozart ! ».

C’est tout un autre travail !

Quand on traduit Freud, on parle d’écoute flottante mais ce ne sont pas des termes appropriés.
Pour saisir ce qu’il en est de cette autre écoute, que l’on pourrait définir par le mot « entendre », Freud donne de nombreux exemples. L’un d’eux est très à la mode actuellement. Il s’agit du lapsus. Écouter un lapsus, au sens scientifique et psychologique du terme, constitue t il une erreur, une faute ? Freud prétend que si l’on entend, ce n’est pas une faute. Cela a à voir avec la vérité, non « la » vérité mais « une » vérité. L’écoute, elle, est du côté de la véracité. Elle repose sur des faits que l’on essaie de comprendre.

Entendre, ce n’est pas du côté des faits. C’est pourquoi la philosophie m’intéresse. J’en reviens toujours à cette phrase formidable de Rousseau, qui dit : « Commençons par écarter tous les faits, ils ne touchent pas à la question ». Entendre, c’est pareil. Dans un délire, si vous en restez aux faits, vous penserez que cela ne veut rien dire, que c’est faux ! Or, les choses ne se présentent pas ainsi mais en termes de vérité au sens de concept. La vérité est un mot que vous ne trouverez jamais dans un livre de psychiatrie ou de psychologie. C’est un mot qui appartient à la théologie et à la philosophie. La science repose sur la véracité de faits que l’on peut mettre les uns à côté des autres.

Pour le dire vite, la psychiatrie, aujourd’hui, propose deux orientations : l’orientation psychologique dite cognitive et l’orientation plutôt psychanalytique qui tente d’entendre et de dépasser l’écoute.

Cela donne des choses assez intéressantes. Il faut donc distinguer deux degrés. L’écoute relève du domaine de la communication ; la psychanalyse a estimé que le langage n’était pas très communiquant : les animaux communiquent mieux que les hommes et n’ont pas de langage articulé, avec signifiés et signifiants !

La psychanalyse recommande donc de se garder de comprendre. Lacan, à la suite de Freud, dans ses séminaires et ses écrits, n’arrête pas de répéter : « Gardez vous de comprendre ». Cela ne veut pas dire qu’il faut être ignorant mais il faut accéder à un savoir qui dépasse la compréhension.

Ce savoir est au fond exprimé dans trois ordres, celui de la foi, celui de l’art et celui de la folie, trois ordres où la compréhension n’apporte pas grand chose. Pourtant, il existe un savoir qui se lit, qui se sait ou qui ne se sait pas pour reprendre la formule de Lacan, c’est à dire qui n’est pas d’ordre pédagogique. Si on écoute, on est dans la compréhension et on passe à côté ce qui est dit mais qui ne s’écoute pas, qui s’entend.

M. Didier Falcand
Cette écoute, à l’hôpital, avez-vous le temps de la pratiquer dans l’urgence ?

M. Serge Tribolet
Je ne travaille pas aux urgences mais dans un service hospitalier. La plupart des patients qui arrivent à l’hôpital psychiatrique viennent parce qu’ils n’ont pas été entendus. Certains en meurent suicides, dépressions, agressivité. D’autres passent par la psychiatrie.

Autre point : le déficit. Les ouvrages actuels sur la schizophrénie expliquent à chaque ligne que l’évolution de cette maladie est déficitaire : troubles de la perception, carences cognitives... Tout le vocabulaire utilisé souligne ce déficit. Certains de mes confrères établissent même le lien entre Alzheimer et la schizophrénie. Il n’y a donc plus de limites dans le déficit.

Je prétends que la psychose, la schizophrénie constituent au contraire une capacité supplémentaire ; souvent, celle-ci est invivable mais existe bel et bien même si elle échappe à tous et permet d’accéder à l’hallucination qui, au sens philosophique, n’a rien à voir avec l’hallucination au sens psychiatrique.

On parle pourtant du même phénomène : dans un cas, c’est un déficit, un trouble du cerveau ; dans l’autre, il permet d’accéder à quelque chose qui échappe à tous.

Pour répondre à votre question, certains de mes patients viennent à l’hôpital parce qu’ils n’ont pas été entendus et le déficit que l’on constate dans certains cas de psychose résulte précisément du fait de ne pas avoir été entendu.

Si, parmi vous, quelqu’un m’adresse la parole et qu’on n’arrive pas à le comprendre, qu’on n’entend pas ce qu’il dit, que se va t il se passer ? La personne répétera et on ne comprendra toujours pas, tout en restant poli et sociable. La personne deviendra agressive, répétera sans arrêt la même chose. Imaginez que cette situation se reproduise tous les jours, tous les mois, toute l’année. C’est alors un état déficitaire qui apparaîtra !

Réfléchir, lorsqu’il a le sens de penser, et réfléchir dans le miroir, c’est le même mot. Ce n’est pas pour rien que, depuis l’Antiquité, les philosophes qui veulent penser la pensée prennent le miroir comme exemple à commencer par Socrate.

Écouter ne nécessite pas de miroir, contrairement au fait d’entendre. Pour continuer à réfléchir, avancer intellectuellement, il faut être entendu. Si vous ne l’êtes pas, il y a déficit. On pourrait ainsi lister toutes les pathologies psychiatriques qui sont la conséquence même de ne pas avoir été entendu.

Certes, la psychiatrie essaye de faire au mieux : le cognitivisme, la psychologie actuelle essayent de rassurer. Je connais à Paris une dame très active qui a connu un grand malheur : son chat est devenu agressif. Le vétérinaire lui a dit qu’il était en fin de vie et qu’il fallait le piquer. Elle ne voulait pas en entendre parler et, désespérée, a trouvé dans l’annuaire un psychiatre pour chat, un vétérinaire cognitiviste.

Par curiosité, je lui ai demandé ce qui s’était passé. « Le vétérinaire est venu et on a beaucoup parlé », m’a-t-elle répondu. « Il a prescrit un médicament au chat ». Il s’agissait de Prozac. Le chat est mort quinze jours après mais il est important de comprendre que le cognitivisme, qui marche même sur les animaux, ne repose que sur la communication et la réassurance. En cas de tristesse, de symptômes de dépression, d’angoisse dus à la phobie, on va essayer d’améliorer la vie quotidienne du patient en faisant diminuer ses symptômes.

Si, dans les ouvrages de psychiatrie cognitiviste, vous trouvez une seule ligne sur ce que dit le patient, envoyez-moi le livre, je vous le rembourserai ! Ce que dit le patient n’entre pas en compte ! On trouve tous les symptômes dans ces livres et comment les faire disparaître mais rien sur la façon dont le symptôme s’intègre dans le parcours du patient et pour cause : les animaux n’ont pas le même parcours !

Pour finir, l’exemple des lapsus montre ce qui passe dans le langage quotidien. On peut écouter quelqu’un et dire qu’il a raison ou tort. Il faut avoir un minimum de lien social. La psychanalyse appelle cela la parole vide, le lien social : 90 % de ce que vous dites et de ce que je dis par jour, c’est ce que l’on peut appeler la parole vide. Pourquoi ? Depuis ce matin, tout ce que vous avez dit, quelqu’un d’autre aurait pu le dire.

La parole pleine vous appartient à vous seul. En général, c’est celle qu’on passe son temps à mettre de côté parce qu’elle fait mal. Il existe des situations où elle apparaît, sans qu’elle transite forcément par les mots mais par l’intermédiaire de symptômes, lors de situations particulières. C’est un concept psychanalytique : il y a le langage communiquant et quelque chose d’autre, qui n’est pas de l’ordre de la communication, qui nécessite d’être entendu.

Pour finir sur un lapsus, puisque les hommes politiques s’y mettent, je me souviens de celui-ci, lors d’une remise de décoration dans une mairie que je ne nommerai pas. L’élu lit son discours en concluant : « Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous remets cette merdaille ! ».

Tout est dit ! Au secours Freud !

M. Didier Falcand
Cela permet un lien avec Christelle Devoucoux, qui est infirmière en bloc opératoire. Elle me disait qu’il existe d’autres formes d’écoute, comme celle du corps. Pour ce qui vous concerne, vous intervenez donc plus dans le cadre des urgences ?

Mme Christelle Devoucoux
En effet. Je voudrais revenir sur l’intitulé de votre thème : l’écoute face à l’exigence thérapeutique. Il existe une différence dans le domaine des soins en psychiatrie, la médecine au long cours et le bloc opératoire. En effet, le temps qui m’est imparti et le temps qui m’est reconnu comme temps de travail dans l’écoute du patient fait toute la différence.

Grosso modo, en moyenne, j’ai dix minutes pour écouter mon patient. C’est un peu comme si on limitait les appels téléphoniques que vous recevez tous les jours ! Il est important de lire et d’écouter le corps car, durant ces dix minutes, je concentre mon attention à la fois sur le discours que me tient le patient et sur ce que j’observe indirectement.

C’est une chose à laquelle les infirmières sont formées. Il s’agit d’une écoute active qui doit être débarrassée de toutes connaissances médicales et paramédicales. Il faut que je puisse être la plus disponible et la plus ouverte possible pour recevoir du patient une parole, un aveu, l’expression d’un besoin qui n’aura pas forcément quelque chose à voir avec son intervention.

Les généralistes connaissent peut être mieux ce sujet que les intervenants ici présents : il s’agit du syndrome « de la poignée de porte ». En consultation, on vient avec un prétexte concernant une infection somatique des plus banales mais c’est au moment où le médecin a la main sur la poignée de porte et s’apprête à prendre congé de son patient que les mots essentiels sont échangés.

Au bloc opératoire, je vis en permanence ce syndrome de la poignée de porte. C’est au moment où le patient va être endormi, avec le risque de ne pas se réveiller, au moment où il va être le plus agressé physiquement par l’intervention chirurgicale que la parole prend toute son importance. C’est donc à moi d’être attentive pour savoir ce qui se dit à ce moment là.
J’ai en tête une anecdote à propos d’une femme victime d’une fracture du col du fémur qui ne pouvait partir pour l’anesthésie sereinement sans s’être assurée que quelqu’un s’occupait de son chat. J’ai demandé devant elle aux infirmières de se renseigner. Voyant que je m’inquiétais de son chat, elle a pu être endormie sans souci. Parfois, cela n’a rien à voir avec la pathologie ; pourtant, c’était l’essentiel de son passage au bloc opératoire !

M. Didier Falcand
Parvenez-vous en général à résoudre ce genre de situation ? Les choses se dégradent-elles ou s’améliorent-elles ?

Mme Christelle Devoucoux
J’essaie de faire reconnaître ce temps comme un temps de travail en prenant appui sur ma hiérarchie, les médecins anesthésistes et les chirurgiens. C’est un travail de longue haleine.

Au début de mon parcours, jeune diplômée d’État, je suis passée par l’unité d’oncologie et de soins palliatifs. J’y ai fait trois mois. J’y avais tout mon temps, les patients hospitalisés en soins palliatifs n’ayant plus d’autres choses à faire que de parler ou de ne rien dire d’ailleurs. Mon temps de travail y était donc intégralement consacré.

Quand, du jour au lendemain, je suis passée au bloc opératoire, j’ai vu que l’on ne m’octroyait plus ce temps : il fallait faire le ménage de la salle, faire descendre le patient suivant, préparer le matériel pour l’intervention. Je me suis dit que les choses n’étaient pas possibles !

J’étais alors dans l’apprentissage de mon métier ; aujourd’hui, je dis aux jeunes infirmières auprès de qui j’interviens qu’il faut se débarrasser de la connaissance et de la maîtrise des soins techniques pour faire de ce temps un médiateur. Plus on maîtrise les soins techniques et plus on anticipe sur l’organisation, plus on dégage du temps pour le relationnel. Au bout de dix ans, j’avais acquis des automatismes et, peu à peu, j’ai fini par grignoter sur le temps de préparation pour me consacrer aux patients.

J’en ai fait le témoignage, je l’ai crié haut et fort. Je fais du tutorat et de l’encadrement de stagiaires infirmiers, aides soignants et jeunes étudiants en médecine pour leur montrer que ce temps est possible si l’on sait s’organiser avant et qu’il est nécessaire. Peu à peu, il s’intègre dans le fonctionnement.

J’essaye de faire en sorte que ce soit encore possible en intervenant dans les écoles, où j’apprends aux filles et aux garçons qui veulent faire du bloc opératoire, que c’est certes un plateau technique mais que nous sommes des infirmiers et notre rôle est du domaine relationnel avant d’être technique.

J’arrive à m’en sortir parce que j’ai pris de l’assurance professionnelle et que je suis passée par la théorie en écrivant et en donnant des cours. J’ai affiné mes arguments et j’ai donné des exemples concrets pour démontrer que cela ne faisait pas forcément perdre du temps. C’est une bataille de chaque jour. J’ai bataillé quelque temps pour faire faire des prescriptions à un chirurgien, ce qui n’était pas dans sa culture. J’y suis arrivée ; je pense donc que l’on arrivera à faire reconnaître le temps relationnel comme un temps nécessaire au bloc opératoire. Il faut s’en persuader et montrer que c’est faisable.

On parle actuellement beaucoup de consultations préopératoires. Les services de soins infirmiers et les chirurgiens travaillent ensemble pour permettre un accueil du patient en amont de l’intervention, afin de nous aider à reformuler toutes les informations médicales qu’ont reçues les patients. On obtient alors le consentement réellement éclairé du patient. Au moment de l’accueil au bloc, au cours duquel on ne dispose que de dix minutes, la parole peut circuler librement, tous les autres problèmes liés à la chirurgie ayant été évoqués en amont. Restent les questions existentielles, les angoisses liées à la mort, à l’amputation, à la récupération, à l’image que l’on a de soi par rapport à sa famille et à son entourage.

Je dois bien entendu remplir un questionnaire mais j’essaye de le faire le plus rapidement possible pour laisser aux patients la possibilité de s’exprimer librement.

Martin Winckler, dans son dernier livre, « Le chœur des femmes », que je conseille à tout le monde, écrit que ce que les patients ont à nous dire est toujours plus important que ce que nous avons à leur dire. J’essaye de m’en souvenir lors de mon accueil au bloc opératoire, dans cet intervalle qui m’est imparti, malgré les exigences de fonctionnement, de rentabilité et de tarification à l’acte. C’est en tout cas ce que je veux transmettre !

M. Didier Falcand
C’est un message encourageant ! Docteur Monfort, l’écoute des patients est-elle conciliable avec l’exigence thérapeutique ?

M. Jean Claude Monfort
Nous sommes dans la parole et dans l’écoute. Parole et écoute étant indissociables, on est obligé d’évoquer la première.

Je vous remercie de parler de l’écoute des personnes âgées à l’hôpital, en maison de retraite ou à domicile, sujet dont je m’occupe depuis trente ans. Que puis je en dire, que sais je de cette écoute dans les moments où la vie n’est pas facile, où l’enjeu est parfois la mort ? Vous pouvez acheter le « Que sais je » que j’ai publié à ce sujet, où j’ai mis l’essentiel en 128 pages !

Un grand merci à tous ceux qui sont à l’écoute, soignants, cadres et directeurs qui nous aident à faire monter du relationnel dans le technique !

Comme Voltaire, j’ai pris le parti de dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : on peut dire que les personnes âgées vivent plus longtemps qu’auparavant, que l’écoute se développe et que l’hôpital remplit son rôle.

Toutefois, selon certains critères, 4.000 des 12.000 morts par suicide par an en France sont des personnes âgées. Si cela allait si bien, pourquoi sont ils passés à l’acte ?

Le fondateur de la gériatrie, il y a une trentaine d’années, a pris conscience qu’il existait des personnes âgées qui allaient mal sur le plan psychologique et a lancé ALMA, ALlô Maltraitance Personnes Agées.

Les personnes âgées les plus violentes que j’ai connues étaient des personnes maltraitées. Je me souviens d’une femme qui m’a giflé avec plaisir en riant…

Il existe beaucoup de livres sur l’hôpital. « Hôpital en danger » ou « Hôpital : alerte ! ». Notre ancien directeur général de l’Assistance publique, Jean de Kervasdoué, qui a écrit « L’hôpital vu du lit du patient » raconte l’hôpital de l’intérieur.

Il existe aussi des livres horribles, comme « On tue les vieux ! ». Un infirmier qui travaille en maison de retraite a également écrit un livre dans lequel il rapporte les mêmes choses.

Peut-on parler de volume d’écoute ou de tranches d’écoute ? Cette écoute, peut on la couper en tranches ? Faut il y consacrer 5, 10 ou 15 minutes ? A l’hôpital, ces tranches, pour reprendre un terme médical, sont en voie d’inflammation. Les Canadiens parlent de « burn out », d’épuisement professionnel.

Y-a-t-il une souffrance au travail à l’hôpital, comme en entreprise ? Y en a t il plus ou moins ? Existe-t-il un plan social à l’hôpital ? Je n’ai pas entendu prononcer ce mot mais celui de fusion, de mutualisation, générateur de stress. Le stress monte donc à l’hôpital.

Pierre Charazac, psycho-gériatre, dit que, pour que les soignants soient à l’écoute et soient apaisants, il faut d’abord qu’ils soient apaisés. S’il existe trop de stress, notre capacité à écouter ou à entendre ne sera t elle pas plus à la baisse qu’à la hausse ?

Peut-on parler de qualité d’écoute ou de niveau d’écoute ? J’apprécie beaucoup Simone Veil car elle a parlé d’humanisation des hôpitaux. J’étais dans ce domaine, au sein d’un mouvement relationnel d’humanisation. Sous le poids de l’économie et de la crise, si les soins tactiques sont maintenus, je l’espère tout du moins, le rationnel est grignoté. Il faut donc se défendre pour le maintenir. Selon moi, la tendance serait plutôt à un maintien de la technicité au détriment du relationnel. C’est ici le médecin psycho-gériatre qui parle : les choses se passent peut-être très bien ailleurs...

L’enjeu serait donc de remonter le volume d’écoute dans l’hôpital ou dans ses structures. Ce mouvement est amorcé. Il existe aujourd’hui des formations qui portent quasiment ce titre. Il faut donc injecter de l’écoute et du soin relationnel dans le soin technique.

M. Didier Falcand
L’écoute se porte donc malgré tout de mieux en mieux…

M. Jean Claude Monfort
C’est un vœu, un espoir ; je compte sur vous pour dire que c’est important….

M. Didier Falcand
Nous avons ici, avec Françoise Guénard, un exemple d’écoute à l’hôpital de femmes qui souffrent du cancer du sein. Racontez nous cette expérience…

Mme Françoise Guénard
Nous arrivons à l’hôpital sans blouse blanche mais accueillies par les services, qui nous voient comme un complément à tout ce qu’ils font. Souvent, les infirmières aimeraient faire plus mais n’ont absolument pas le temps. Tout va très vite dans ces services de cancérologie, y compris le temps de passage des patients.

Nous sommes une association « Vivre comme avant » composée des femmes qui ont traversé l’épreuve d’un cancer du sein et nous allons à la rencontre de celles qui sont en train de le vivre ; nous sommes présentées par les soignants et ne voyons que celles qui souhaitent nous voir pour leur offrir un temps d’écoute, une oreille un peu particulière, ayant traversé une histoire proche de la leur, chaque histoire étant toutefois individuelle et sans effet miroir possible.

Nous avons cependant toute une chose en commun, celle d’avoir reçu un diagnostic d’une maladie potentiellement mortelle. Cela marque un moment de la vie de façon très forte.

Nous les rencontrons en chirurgie, après les choix thérapeutiques, à J + 2 ou J + 3. Elles sont en général assez proches du diagnostic qui a eu lieu trois semaines ou un mois auparavant et sous le coup d’un choc très violent car le cancer du sein est rarement détecté du fait de douleurs. Cela tombe sans prévenir, comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. La sidération est encore présente et la chirurgie est plus ou moins mutilante suivant les situations. Il y a encore aujourd’hui, quoi que l’on dise, des situations où on enlève le sein, ce qui est traumatisant pour l’image de soi et de sa féminité, quel que soit l’âge de celles qui le vivent.

Nous les rencontrons généralement le matin, en tête à tête, les échanges étant bien plus forts et fructueux alors.

Elles nous vivent comme quelqu’un à qui elles peuvent tout dire, y compris ce qu’elles ne peuvent partager avec leur famille, même si celles ci sont très présentes et aimantes. Elles ne veulent pas ajouter des choses difficiles car il existe toujours un sentiment de culpabilité : « Que fais je vivre à mon mari, à mes enfants ? ». Avec nous, il est possible de livrer certaines choses. Elles sont écoutées et entendues. Elles en ont en tout cas le sentiment. Nous sommes toutes formées avant de rencontrer ces femmes car il existe, en dehors de notre expérience personnelle, une technique de l’écoute qui nous aide.

J’ai retenu, dans le débat de ce matin, l’idée de prudence dans l’écoute. Celle que nous dispensons à l’hôpital intervient dans un moment de fragilité extrêmement grande où l’on est dans une recherche de sens face à cette maladie qui survient : « Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Qu’ai je fait pour cela ?

Ce cancer, je me le suis sûrement fabriqué ! J’ai quelques petites idées pour savoir d’où il vient ». C’est un moment de grande instabilité. Nous, écoutantes, nous devons d’être très prudentes et vigilantes à la fois dans nos paroles mais aussi dans tout notre comportement, car elles nous regardent d’une façon très intense.

Elles balaient certaines zones et se disent : « Si je l’avais rencontrée dans la rue, peut être n’aurais je pas su qu’elle a eu un cancer du sein… ». Il est donc très important de contrôler tout ce que nous disons car on sent combien notre parole a un poids quelquefois plus que celle de l’infirmière, voire du médecin.

Bien évidemment, on ne débat jamais de questions médicales, ni de notre parcours médical bien qu’elles essayent en général de le connaître. Nous ne sommes pas un miroir et nous racontons rapidement ce que nous avons eu. Nous parlons surtout de la vie familiale, des enfants… « J’ai des enfants jeunes ; comment vais je faire pour leur dire ? ».

Parfois, l’entretien dure entre 20 minutes et trois quarts d’heure et c’est souvent au moment où l’on va vers la porte qu’arrivent les questions sur le compagnon, le couple : « Comment avez vous fait avec votre mari ? ». On repose son sac, on revient, on s’assoit car c’est fondamental. On peut l’entendre et elles peuvent se libérer. Des choses très violentes peuvent sortir, des angoisses très fortes avec tous les mots qu’elles mettent dans la bouche de quelqu’un d’autre mais qui sont les leurs. Cela fait du bien de pouvoir les dire à quelqu’un qui les reçoit et les recueille.

On peut aborder des problèmes d’ordre sexuel que les soignants ont beaucoup de mal à aborder avec les femmes. Avec nous, c’est évidemment plus facile parce qu’elles sentent qu’elles ont affaire à de l’expérience et non plus du savoir, certaines infirmières étant parfois très jeunes.

Nous n’avons pas de recettes. Nous cherchons simplement à leur donner des pistes pour les aider à
retrouver leur corps, vivre leur chimiothérapie le mieux possible. Les plans cancer I et II ont apporté beaucoup de progrès en matière de supports, d’esthétique, de diététique, voire de sophrologie.

Les maisons de patients ou maisons « information santé » sont également des lieux d’écoute. On va y chercher certes des documents sur des maladies mais il y a toujours un accueillant ; les proches y viennent aussi et c’est là un lieu d’écoute qui est en train de se développer.

M. Didier Falcand
Vous prouvez en tout cas que l’écoute des patients à l’hôpital est réalisable. Avez-vous connu cela il y a vingt ans, lorsque vous avez eu votre propre cancer ?

Mme Françoise Guénard
Non, je n’ai pas eu la chance d’être visitée. Les infirmières, que je sentais assez peu formées, étaient elles mêmes très touchées par ce qui m’arrivait car elles étaient fort jeunes. C’était il y a vingt ans et on avait alors très peu d’informations. En sortant, on cherchait des prothésistes dans les pages jaunes mot horrible qu’il faut apprivoiser. Il y a plein de choses à apprivoiser quand on est malade ! Aujourd’hui, tout le monde sort avec des adresses pour les perruques, etc. Il y a eu énormément de progrès en la matière mais le besoin d’être entendu est extrêmement fort.

Le besoin d’être entendu par quelqu’un d’extérieur, qui n’est pas la famille et qui n’est pas un soignant, que l’on ne reverra peut être pas, comme à SOS Amitié, est très fort chez beaucoup de femmes. Certains secrets nous sont parfois confiés. Un sein, c’est un organe sexuel. Parfois, des attouchements qui ont eu lieu dans l’enfance remontent à la surface. Nous avons une formation mais nous ne sommes pas psychologues et nous les engageons à consulter car rencontrer un psychologue peut être d’une grande aide dans la maladie. De temps en temps, on a des témoignages merveilleux. Une femme victime d’abus sexuels m’a dit un jour : « La boucle est bouclée ! ». Elle avait fait une thérapie, changé de métier. Cela a été une renaissance. Elle m’a rappelée deux ans après. Elle faisait le tour de toutes les personnes qui avaient été sur son chemin dans cette histoire.

Nous laissons un petit livret avec notre téléphone personnel ; les femmes peuvent nous appeler pendant les traitements. Toutes ne le font pas. Nous les avons aussi en fin de traitement, à un moment d’extrême fragilité : tout va bien, on reprend pied dans la vie et tout à coup, le rendez vous avec le médecin étant programmé trois mois plus tard, on a très peur…

Je voudrais partager avec vous une fort jolie phrase sur les écoutants : « Les écoutants sont des marcheurs aux pieds nus sur une terre sacrée ».

M. Daniel Boissaye
Tout a été dit ou presque, et bien dit ! L’écoute fonctionne à deux, suppose du temps, une présence de qualité, de la disponibilité d’esprit et une aptitude humaine avant même toute technique de l’écoute.

Laissez-moi vous raconter une histoire personnelle et faire le candide pour soulever quelques interrogations car si je pense que l’écoute a effectivement une vertu thérapeutique certaine, il y a encore quelques petits progrès à faire.

Il y a 45 ans, jeune externe en chirurgie, je vivais ma première journée et ma première nuit de garde dans le service. Le lendemain matin, le patron et tout le staff faisaient la visite des entrants de l’après-midi et de la nuit. Il y avait encore à l’époque des chambres à deux ou trois lits. On entre dans la chambre dont j’avais la responsabilité.

Le patron me demande pour commencer d’aller fermer la fenêtre avant de découvrir les patients. Nous nous approchons du premier lit et il me demande de quoi il retourne. Je réponds : « C’est une fracture ouverte de la jambe ». Le patron me répond : « Non, c’est un monsieur ! Comment s’appelle-t-il ? Que fait il dans la vie ? Où habite t il ? Est-il seul ? A-t-il-des enfants ? Quel est son métier ?».

J’ai appris à cet instant le premier moment de l’écoute : la personne en face de moi est un être humain et non un cas clinique ! Qu’en est il quarante cinq ans après ?

Il y a deux ans, j’ai été hospitalisé pour des problèmes importants. Je n’ai pu, en salle d’anesthésie, bénéficier d’une infirmière pour m’expliquer ce qui allait m’arriver pendant dix minutes ! J’étais plutôt stressé mais j’ai vu un plateau technique extraordinaire, qui n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. J’ai vu deux infirmières ou deux aides soignantes on ne peut les distinguer aujourd’hui avec un ordinateur sur un chariot roulant. Elles ont commencé à faire l’inventaire de mes objets personnels. Il y avait une liste à remplir et l’une apprenait à l’autre.

Elles me demandent alors si j’ai une carte de crédit. Je réponds que j’en ai deux. Deux, ce n’est pas prévu. Comment faire ? On a continué à remplir les cases ; cela a duré vingt minutes ! Finalement, elles ont abandonné !

Certes, on fait des progrès mais l’envahissement de la technologie, s’il n’est pas maîtrisé, vient encore empiéter sur la qualité humaine de l’écoute !

Les progrès ont été considérables. La douleur est aujourd’hui mieux prise en charge car, en dehors des progrès techniques, on s’est aperçu que les gens étaient différents, qu’ils ne souffraient pas du même mal de la même manière. Grâce à des instruments comme la réglette de la douleur de Solaris, on a commencé à individualiser les traitements et à écouter le patient, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.

Il en va de même des soins palliatifs, secteur privilégié pour l’écoute de l’être dans son intimité la plus profonde. Cela n’existait pas non plus il y a 45 ans.

Le troisième exemple est celui de l’accouchement. Il y a quelques années, quand une femme entrait en salle de travail, elle avait l’impression de pénétrer en soins intensifs. Mettre un bébé au monde est l’acte le plus naturel et le plus merveilleux dans la vie, alors qu’on avait l’impression qu’il s’agissait d’une maladie grave.

Il existe encore des services de gynéco obstétrique qui pratiquent ainsi. D’autres ont fait des progrès, ont des appareils, bien sûr, mais derrière un paravent. On s’occupe des parents, de leur histoire, de l’histoire de cet enfant.

On l’accueille dans le monde où il va arriver avec un certain traumatisme une naissance, ce n’est pas rien mais il est accueilli. C’est de l’écoute et cela ne prend pas plus de temps que de ne pas le faire et cela change totalement l’ambiance dans laquelle se font les choses !

On a beaucoup parlé d’écoute ce matin mais on a également dit qu’il fallait trouver une parole en face. La question que je me pose est de savoir si la parole est libre entre le patient et le soignant. Le patient est il compris par le soignant ? Le patient ne dit par forcément tout : il peut minimiser ou exagérer les choses. Il a un masque social et un discours cohérent avec celui ci. Il faut donc prendre le temps de décoder son mode d’expression, démêler tout cela en fonction de sa personnalité et essayer de le comprendre. Il faut donc créer un climat de confiance.

Il me revient à l’esprit l’exemple d’une jeune fille de 16 ans amenée par sa maman pour une douleur au bras importante. Après examen, radios, on n’a rien trouvé. La maman étant partie pour remplir des papiers, dans le climat de confiance qu’a su créer le médecin, on s’est aperçu que son beau-père la violait et la prenait par le bras chaque fois avant !

Les conditions de la parole sont importantes et on n’entend pas les mêmes choses selon l’endroit où l’on est et avec qui l’on est. C’est pourquoi l’écoute n’est pas qu’un mot. Il faut aussi en créer les conditions.

Qu’en est il de la relation du soignant vers le patient ? Une récente étude montre que moins de 50 % des patients ont compris ce qu’on leur dit. Il faut donc prendre le temps de répéter, de reformuler, de contrôler qu’on a bien été compris. Or, cette compréhension est très importante pour l’acte thérapeutique et pour son acceptation aux fins de suivi. Il faut écouter avant le diagnostic, pendant et après l’acte thérapeutique. Le suivi du patient est également important.

Il y a quarante ans, lorsque j’étais en chirurgie et ma femme infirmière, nous connaissions nos patients par cœur, nous les suivions durant huit à dix jours d’hospitalisation. Nous les voyions tous les jours. Nous savions ce qui s’était passé la nuit grâce aux transmissions. Une des craintes des patients actuels est que les données informatiques se perdent. Pendant les cinq jours durant lesquels j’ai été en soins intensifs, je n’ai jamais vu deux fois la même infirmière !

Ce n’est pas une critique mais les conditions ne sont pas forcément les meilleures pour une bonne écoute. Or, c’est parfois au bout de plusieurs jours que s’instaure ce climat de confiance qui fait qu’il va se dire des choses. Comme dans l’écoute que nous pratiquons à S.O.S Amitié, ce n’est qu’au bout d’un certain temps que la vraie question va sortir.

J’ai posé la question au chirurgien qui m’a opéré il s’agit d’un grand service. Il m’a répondu que pour l’instant, ce n’était pas au programme…

M. Didier Falcand
Voulez vous dire que ce n’est pas au programme de la formation des soignants ?

M. Daniel Boissaye
En effet. Mais un autre chirurgien m’a dit que c’est au programme et qu’il y a 3 heures de formation !
A S.O.S Amitié, nous avons des appels de malades mentaux qui nous disent eux mêmes : « Je suis schizophrène » ou : « Je suis bipolaire ». « J’ai rendez-vous avec mon psy mardi mais on est dimanche et je ne peux pas attendre ». En 2009, cela a représenté 150.000 appels, soit 21 % du total ! C’est la seconde cause d’appels après la solitude et cela a augmenté de 95 % depuis 2003. C’est le signe d’une prise en charge très différente de ces malades qui sont en ville, en hôpital de jour ou autres et pour lesquels il y a un manque de suivi puisqu’ils appellent S.O.S Amitié, ce qui nous laisse assez désemparés n’étant ni formés, ni thérapeutes et encore moins dans le diagnostic. Il n’empêche que nous faisons un acte thérapeutique qui a un sens.

Voilà le témoignage que je voulais apporter.

M. Didier Falcand
En tant que médecin, qu’est-ce que cela vous inspire ?

M. Serge Tribolet
Il y aurait beaucoup à dire car, dans la maladie mentale, le point central reste la solitude. A part quelques contre exemples, il n’existe pas d’associations de patients paranoïaques ou schizophrènes. Il y a donc une demande.

Étonnamment, beaucoup de patients délirants portent plainte. Les policiers prennent note et se rendent très vite compte qu’il y a un problème mais le fait est qu’il s’agit de déposer une parole dans un endroit où on en prend note. Notre travail est donc de prendre note, d’entendre cet appel.

M. Didier Falcand
Ils vont donc chercher de l’écoute au commissariat…

M. Serge Tribolet
Non, ils vont déposer quelque chose qui passe par eux. Dans la psychose, il y a un savoir qui passe par eux. Il faut que ce soit entendu. Bien entendu, le commissariat n’est pas le lieu pour être entendu mais on sait que c’est posé.

Pour la douleur, l’écoute est très importante. Lorsque le psychiatre du service part en vacances, il est remplacé par des gens qui ne sont pas spécialistes (ce sont des généralistes, des internes. Quand il revient, tous les patients à peu près ont des antalgiques ! Il s’agit bien d’une douleur mais qui s’exprime d’une certaine façon.

Vous disiez que l’écoute fonctionne à deux. Elle fonctionne même à trois parce qu’il y a toujours un tiers. On parle parfois à un autre qui est absent. J’ai un patient délirant qui a une technique fabuleuse. Je m’en sers dans certains endroits car j’apprends avec eux. Dès qu’on ouvre la bouche pour lui dire quelque chose, il dit : « Oui, oui, oui, oui, oui, oui ! ».

Cela ne facilite pas l’écoute mais on sent une présence !

On parle souvent d’un ton très grave des psychoses et de la schizophrénie mais ce n’est pas forcément triste. Le premier pas, en particulier dans le domaine des patients délirants ou qui ont une réalité autre, est de considérer qu’ils ont quelque chose en plus. Si vous partez du principe qu’ils ont quelque chose en moins une « case en moins », comme le dit une partie de la médecine depuis un certain temps, à l’inverse de la pensée antique qui estimait qu’ils avaient une capacité supplémentaire une porte se ferme. C’est cette première porte qu’il faut franchir. Encore faut il savoir quelle est cette capacité. Il y a donc ensuite tout un domaine de savoir pour ce qui est de la psychose.

On trouve chez ces patients une inventivité, une créativité que l’on rencontre chez les artistes ou les poètes.

Beaucoup écrivent dans certains endroits où ils pensent pouvoir obtenir une réponse qui dépasse celle que nous pouvons leur donner. Maints courriers sont envoyés au Président de la République ou aux différentes instances internationales.

Parfois les courriers me reviennent. Une de mes patientes avait ainsi envoyé une lettre au Président des Etats Unis. Elle m’avait demandé de la lire. L’enveloppe était ainsi libellée : « Etats Unis Stata – Président Bush Stata ». « Monsieur le Président Stata, je suis chez Tribolet Stata, j’ai 3 Md de dollars Stata, je veux aller aux Etats Unis Stata ». Je lui avais demandé pourquoi elle ajoutait le terme « Stata » à chaque mot. Elle m’avait répondu : « C’est de l’anglais ! ».

D’une certaine façon, il s’agit de faciliter un lien entre les personnes. On trouve dans la souffrance et dans la solitude une certaine inventivité que l’on devrait prendre en compte.

M. Didier Falcand
Jean Claude Monfort, ressentez vous également ce déficit d’écoute ?

M. Jean Claude Monfort
Il y a beaucoup à dire pour améliorer le temps d’écoute et le niveau d’écoute. L’idée est d’écouter le présent. Le schéma présenté ici utilise l’image d’un champignon qui est dans le passé. On se dirige vers le futur avec, au bout, la mort. Sous l’effet de la stimulation, le champignon du passé monte dans le présent. On ne va toutefois pas le reconnaître comme un souvenir. Ce sera une réminiscence du passé. L’attouchement sexuel, c’est souvent le champignon du passé qui remonte au moment du bloc opératoire. Ce champignon est parfois sale, dangereux, cru ; en fait, il faudrait disposer d’une cellule d’écoute, bénévole ou professionnelle, afin de passer de la réminiscence au souvenir, pouvoir en parler et le valider.

On voit ainsi des personnes âgées mourir d’une « bonne mort », un de nos projets étant d’accompagner la vie.

Le principe de la maladie d’Alzheimer est d’effacer les souvenirs les plus récents pour les remplacer par les plus anciens. La machine à fabriquer des souvenirs ne fonctionnant plus, on ne peut plus mémoriser les choses. Si la maladie progresse depuis dix ans, on ne peut plus mémoriser les dix années écoulées. A 90 ans, on se voit donc tel qu’on était à 40 ans mais avec les cheveux blancs, comme s’ils avaient blanchi en une nuit c’est une histoire authentique !

Une fois que l’on a compris cela, on comprend que les personnes atteintes d’Alzheimer ne sont pas en 2010 mais en 1955. Si on les réoriente dans la réalité, on provoque leur frayeur et on les panique. Voyager dans le passé est donc au contraire éthique et bienveillant. Il faut rejoindre l’autre, aller vers lui et faire comme si l’on était en 1950.
J’utilise donc beaucoup de musique du passé et de photos du passé. Les attouchements sexuels et autres remontent alors, ce qui permet de nommer les choses et de diminuer la violence sur les autres et sur soi.

M. Didier Falcand
Y a t il des questions ?

Une intervenante
Que pensez vous des groupes de parole dans les hôpitaux ? S’agit il selon vous d’écoute ? Cela se pratique beaucoup aux Etats Unis. En France, on commence à le faire pour les gens atteints d’un cancer. Ca me paraîtrait une bonne chose. Quel est votre avis ?

M. Jean Claude Monfort
On ne peut tenir que si l’on partage. Or, on partage bien mieux avec les personnes qui vivent les mêmes choses. J’ai donc mis sur pied un lieu où nous sommes trente. Nous nous réunissons tous les trimestres sous le prétexte d’apprendre des techniques relationnelles, afin d’avoir le sentiment d’appartenir à un groupe. On est face au feu et on a besoin de se retrouver entre nous pour éprouver ce sentiment d’appartenance, qui confère une certaine force.

Parfois, il faut savoir poser des limites. Pour cela, il faut être serein. On peut acquérir cette sérénité grâce aux groupes de parole « fermés », où l’on est entre nous et où l’on partage le même type d’histoire.

Une intervenante
Il existe beaucoup d’associations de bénévoles qui interviennent dans les établissements auprès des malades « Blouses Roses », etc. dont la fonction est uniquement d’écouter…

M. Jean Claude Monfort
Il existe plusieurs types d’écoute. On trouve l’écoute bénévole et amicale, comme celle apportée par S.O.S Amitié, les Petits Frères des Pauvres, l’écoute psychologique qui utilise des outils professionnels, l’écoute spirituelle et religieuse, groupes de prières, etc.

J’ai découvert grâce à une amie néerlandaise qu’il existe aussi des robots japonais qui représentent des phoques ou des otaries et qui sont utilisés dans les maisons de retraite auprès de personnes âgées qui ont trois ans d’âge mental ; elles s’approprient le phoque et le caressent ; leurs yeux se ferment et un gémissement de satisfaction se fait entendre. La personne âgée est apaisée par ce contact.

On trouve enfin l’écoute au travail, qui se traduit par la mise en place d’un numéro vert au sein de l’entreprise.
Une intervenante Je voulais demander à Mme Guénard si son association dispose d’équipes en province ou ailleurs. Ne travaillez vous qu’à Paris ?

Mme Françoise Guénard
Il s’agit d’une association nationale. Nous avons des bénévoles dans environ 65 villes de France ainsi qu’un site Internet. Notre organisation existe aussi en Belgique et en Suisse ainsi que sur les cinq continents sous son nom d’origine, qui est américain : « Reach to ricovery ». Nous disposons aussi de supervisions afin de pouvoir échanger sur tout ce que vivent les femmes, qui pourrait parfois être lourd pour nous. Nous échangeons donc régulièrement par petits groupes.

Un intervenant
Je m’exprimerai ici en tant que médecin hospitalier… Comment considérez vous les nombreuses associations qui existent – mouvements d’aide aux alcooliques ou en faveur des soins palliatifs – qui proposent des solutions dans les hôpitaux ? Comment les professionnels de santé que vous êtes, vos collaborateurs, peuvent ils les accepter, connaissant les problèmes qui existent pour les faire travailler ensemble ? Je l’ai vécu dans mon expérience professionnelle...
Quelle est de votre attitude ? Etes vous prêts à ouvrir les portes de vos services ? Il existe un manque d’écoute évident ; or, ce type d’associations offre des possibilités dans ce domaine...

M. Serge Tribolet
Je suis dans un service de psychiatrie qui, pour des raisons légales, est fermé ; les visites sont restreintes aux familles et aux proches.

On préfère que les patients puissent bénéficier de ces lieux à l’extérieur de l’hôpital ; ainsi, le portable, qui est toléré dans tous les hôpitaux n’est pas permis en psychiatrie, un patient délirant pouvant photographier n’importe qui.

Certains patients sont hospitalisés pour cause de harcèlement téléphonique délirant. On doit également savoir qui vient visiter le patient. L’essentiel du soin se fait maintenant à l’extérieur et les hospitalisations sont relativement courtes. 80 % de l’activité porte sur l’extrahospitalier, avec un travail de réseau. Un réseau, ce n’est pas uniquement l’équipe de secteur mais toutes ces associations qui interviennent dans les centres médico psychologiques et autres lieux.

Certaines associations, reconnues d’utilité publique, sont très utiles pour l’information et le soutien des familles et des patients concernés par la maladie mentale.

 M. Jean Claude Monfort
On m’a demandé de mettre sur pied une petite unité de psycho gériatrie à moyens constants en 2003, c’est à dire sans personne. L’écoute professionnelle coûtant de l’argent, j’ai eu l’idée de l’écoute bénévole.

Mais les personnes âgées atteintes d’Alzheimer étant particulièrement épuisantes, il peut y avoir pour les autres un réel danger. Il faut donc que les bénévoles soient encadrés, formés, sélectionnés. Tout le monde n’est pas capable d’écouter. Il faut améliorer la capacité des bénévoles à repérer les pièges. Il ne peut s’agir que d’une équipe bénévole très « professionnelle »…

Mme Christelle Devoucoux
L’exemple le plus typique qui me vient à l’esprit est celui de l’association « Les Blouses Roses » ou celui des clowns qui interviennent en Ile de France, à Necker et Trousseau. Ce ne sont pas forcément des professionnels de l’écoute.

Tout comme vous je suppose, ils ont toutefois une formation en matière de reformulation, d’empathie, de distanciation. C’est selon moi le minimum requis pour intervenir auprès des patients hospitalisés et encore plus des enfants.

La collaboration de ces équipes de bénévoles et de soignants s’anticipe toujours et s’inscrit dans un projet de service, dans un projet d’établissement, avec un échéancier objectifs actions moyens réajustements rigoureux. Je n’y vois que des avantages et si j’étais en service de soins, dans un poste de responsabilités, je pense que j’aurais la même attitude : j’ouvrirais ma porte toute grande, à condition que ce soit encadré.

L’avantage des bénévoles est d’apporter de l’oxygène dans les hôpitaux là où on en manque. On est en effet dans une routine et une obligation de produire des actes sans dépersonnaliser. On a donc besoin de cette aide. La vocation de l’hôpital était d’accueillir les indigents. Ce n’est plus vrai. Pour humaniser à nouveau l’hôpital, il faut y placer des êtres humains normaux non soignants. C’est le seul moyen mais cela ne s’improvise pas : cela nécessite des formations, des rencontres, un échange.

Les bénéfices sont des deux côtés et l’équipe y trouve son oxygène car elle peut, à un moment ou un autre, manquer d’imagination ou de créativité. Dieu sait si, en pédiatrie, cela a toute son importance en matière d’animation ou de décoration des chambres !

Il faut donc faire entrer les bénévoles dans les hôpitaux s’ils sont encadrés. C’est le seul moyen d’humaniser les choses. Derrière nos blouses blanches, nous sommes de plus en plus pris par la technique, même si on tente de se dégager du temps. Les soins sur prescriptions nous prennent de plus en plus de temps. Il faut donc absolument que les bénévoles interviennent au plus près dans les soins primaires, qui n’ont rien à voir avec le motif d’hospitalisation.

Mme Françoise Guénard
Depuis le plan cancer, les associations n’interviennent pas sans préparation. Elles signent une convention avec l’hôpital. Pour ce faire, les hôpitaux demandent la nature de la formation des intervenants. Tous les ans, un bilan est dressé avec les cadres infirmiers du service et la direction des relations avec les associations de chaque hôpital.

Les choses sont donc professionnalisées mais c’est une garantie pour les patients et pour les services. Bien sûr, nous restons invités dans un service et il faut que les associations veillent à respecter tous les soignants, quels qu’ils soient. Quand c’est le cas, il n’existe aucune difficulté et on est bien intégré, bien que nous ne fassions partie d’aucun staff et que nous n’ayons accès à aucun dossier médical ce que nous ne demandons d’ailleurs pas. Chacun connaît ses droits et ses devoirs.

 M. Serge Triboulet
En psychiatrie, la démarche administrative et juridique complique les choses. Pour un patient paranoïaque, vous êtes du côté hostile. On doit donc en tenir compte.

Sachez aussi que l’on écoute des patients qui nous font part de leurs fantasmes, etc. Cela relève du secret professionnel mais peut on le noter dans le dossier, sachant qu’il peut être consulté par d’autres, en particulier sur le plan juridique ? On est limité du fait de ce cadre de responsabilité ou du cadre administratif. En fait, c’est toujours la direction qui a le dernier mot : les stagiaires psychologues doivent ainsi passer des conventions et disposer d’assurances avant de commencer le stage.

M. Didier Falcand
Merci à tous les participants à cette table ronde.
La parole est à présent à Daniel Boissaye, Président de S.O.S Amitié France pour la clôture de cette journée.

M. Daniel Boissaye
Je voudrais remercier tous les intervenants de la qualité de leurs interventions et de la diversité des angles de vues.

La parole et l’écoute sont le cœur de la relation humaine. Cette première Journée nationale de l’écoute était donc très importante. Je suis très fier d’être Président de cette association qui fête ses 50 ans. Lorsque les fondateurs ont créé les postes d’écoute, ils n’auraient jamais cru que cela pouvait perdurer aussi longtemps et surtout que cela augmente.

Le nombre d’appels a augmenté de 20 % depuis 5 ans 730.000 par an, 2.000 par jour, un toutes les 43 secondes alors qu’on pouvait penser que le téléphone était ringard !

En second lieu, l’écoute de S.O.S Amitié a une grande spécificité. Elle a cinq contraintes qui apparaissent comme négatives dans sa charte : l’anonymat de l’appelant, l’anonymat de l’écoutant, la confidentialité des propos, le non jugement et la non directivité, c’est à dire l’absence de conseils.

Ces cinq contraintes associées se révèlent être extraordinairement positives pour la création d’un espace où la parole est totalement libre : pas de contraintes de temps, pas de sujets tabous, confidentialité et anonymat le plus total. Ce sont les conditions nécessaires pour que la parole puisse se libérer totalement !

Cette libre parole va constituer une lueur dans la nuit pour celui qui appelle. Bien entendu, il faut une formation considérable pour être capable d’écouter sans juger, d’entendre sans diriger, de réconforter sans plaindre. Nous travaillons avec 280 psychiatres et psychologues dans le cadre de nos formations initiale et continue. La formation initiale dure entre 60 et 70 heures.

A l’UNPS, où il existe une prévention du suicide, on s’est rendu compte que c’était la plus importante de toutes en terme de durée pour les associations.

Cela ne s’arrête pas là : toutes les trois semaines interviennent des groupes de partage supervisés. Nous ne sommes certainement pas des professionnels mais des bénévoles avec des attitudes de professionnels !

Ceci est reconnu par les pouvoirs publics de deux manières. Nous avons été reconnus d’utilité publique en 1967 et récemment, en 2007, par l’Académie des sciences morales et politiques qui nous a décerné le prix Eugène Salvan, qui récompense des actes de dévouement, de courage et de sauvetage pour l’ensemble de notre action.

Il est vrai que le dévouement des écoutants est évident : ils donnent beaucoup plus que du temps, ils donnent d’eux mêmes ! Le courage, il en faut pour écouter certains appels. Quant au sauvetage, étant dans la prévention du suicide, notre premier objectif même si ce n’est pas le seul, nous sommes sûrs d’avoir sauvé des vies !

C’est à ce titre que nous avons été reconnus par les pouvoirs publics. Le précédent à recevoir ce prix a été l’équipage de l’Abeille Flandre, pour 25 années de sauvetage en mer d’Iroise ! Nous étions donc bien accompagnés !

Enfin, on peut se poser la question de savoir si cela sert à quelque chose. Est on utile ? La frustration terrible de l’écoutant, c’est de ne pas savoir qui l’appelle, ce que cela va donner, faute de suivi. J’ai deux réponses à cela…

Tout d’abord, je suis tout à fait sûr que cela sert à quelque chose, comme le prouve l’orientation des appels : si les habitués rappellent, c’est bien qu’ils y ont trouvé quelque chose d’intéressant sans quoi ils ne rappelleraient pas !

En second lieu, un ami Brésilien m’a récemment raconté une histoire qui se passe au Brésil, où se trouve la plus grande forêt du monde, l’Amazonie et le plus petit oiseau du monde, le colibri.

La forêt brûle et tous les animaux fuient devant l’incendie. Seul un colibri reste au bord de la rivière. Il va chercher une goutte d’eau dans la rivière et la verse sur le feu puis repart et revient la verser sur le feu et ainsi de suite. Un moment plus tard passe un pélican dont le bec est chargé de poissons qu’il a pêchés pour que sa famille puisse survivre. Il voit le colibri, se pose au bord de la rivière et lui dit : « Ne me dis pas que tu crois que tu vas éteindre le feu ! ». « Non, bien sûr, mais j’aurai fait ma part ! ».

Nous sommes des dizaines de milliers d’écoutants à avoir, sur 25 millions d’appels, déversé 25 millions gouttes d’eau pour éteindre les flammes de l’incendie de la souffrance. Même si ce n’est pas suffisant, ce n’est pas rien !

Je voudrais que nous partions tous d’ici plus riches, en ayant envie de faire notre part et d’être de petits colibris !

Merci de votre écoute.