Intervention de Mme Michèle ANDRE

Télécharger le compte-rendu complet de la 1ère Journée Nationale de l’Écoute du 6 octobre 2010.

 Michèle André est conseillère générale du Puy de Dôme et sénatrice depuis 2001. Sa profession est directrice d’établissement médicosocial public. Elle a été conseillère régionale d’Auvergne. Elle a été nommée Secrétaire d’État chargée des droits des femmes et de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dans le 2e Gouvernement de Michel Rocard du 23 juin 1988 au 15 mai 1991.
Elle a été vice-présidente du Sénat jusqu’en octobre 2008. Elle est membre de la commission des finances du sénat et présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

 

Mme Michèle André
Madame la Présidente Nicole Viallat, Monsieur le Médiateur, Mesdames et Messieurs, bienvenue au Sénat. C’est un honneur pour nous d’accueillir votre rencontre de ce jour.

Lorsque Nicole Viallat m’a demandé s’il était possible d’organiser ici cette rencontre, j’ai écouté sa demande et j’ai considéré qu’il était bien naturel que vous puissiez vous retrouver dans cette belle maison, ce Palais du Luxembourg, même si vous n’en verrez peut être aujourd’hui qu’un aspect ; rien ne vous interdit d’aller faire un tour dans la Salle des Conférences. Il serait dommage de ne pas visiter cet espace d’histoire et de travail actuellement sous les feux de la rampe, du fait du projet de loi sur les retraites dont on voit bien combien il intéresse, combien il passionne et, en tout état de cause, attire l’attention sur le Sénat, ce dont nous nous réjouissons.

On évoque parfois la question du Sénat et de l’Assemblée nationale, de la nécessité du bicamérisme, on se demande si le Sénat sert encore à quelque chose. Mon collègue Delevoye, qui fut Sénateur, le sait bien.

Nous avons parfois des doutes, des questionnements. Les Français se demandent si deux chambres sont véritablement utiles. Je suis sénatrice depuis 2001 seulement mais je puis vous dire combien l’équilibre des chambres est indispensable dans notre République.

A la Révolution, on évoquait déjà la nécessité de deux chambres, l’une pour la passion l’Assemblée et l’autre la nôtre pour la raison. Aujourd’hui encore, nous jouons ce rôle d’équilibre et nous cherchons, avec moins d’exposition médiatique qu’en ces temps un peu riches en la matière, à aller au fond des choses, à nous rencontrer nous, sénateurs de tous bords, à nous écouter, à nous comprendre. Nous nous opposons bien sûr parfois mais le sérieux du travail compte pour ce qu’il produit ensuite.

Je vois bien aujourd’hui combien d’espérances sont placées en cette maison. J’espère que vous ne serez pas déçus au bout du compte !

Le Sénat ce sont des hommes et des femmes. Pendant longtemps, Mesdames, nombreuses dans la salle largement majoritaires à l’œil le Sénat a été une assemblée d’hommes et nombreux furent entre les deux guerres les discours enflammés parfois, ridicules souvent à propos du danger qu’il y aurait à laisser les femmes voter! Si un jour, dans le chaos des vies et dans les soucis qui nous embrument, vous avez besoin de vous distraire, allez rechercher dans l’histoire et vous verrez combien le ridicule ne tue pas !

Les femmes ont enfin voté sur ordonnance, je le rappelle toujours, du général de Gaulle. La victoire est là mais ce n’est pas l’Assemblée nationale qui l’a permise.

Aujourd’hui, nous avons quelque peu changé le visage de cette maison. Souvent, on attend des Sénateurs qu’ils soient des Messieurs installés dans la vie, des notables. C’est naturel puisque le mode d’élection et l’âge qui étaient le nôtre traditionnellement ne permettaient pas aux jeunes gens d’accéder au mandat sénatorial. Nous sommes maintenant moins âgés ; la moyenne d’âge des sénateurs doit être voisine de celle de l’Assemblée nationale, à une année près il me semble et nous sommes 22 % de femmes. Nous en sommes un peu fiers. C’est mieux que l’Assemblée nationale 18 % seulement mais, pour la France, ce n’est pas très glorieux !

Je regarde parfois avec envie du côté de la Suède ou de la Norvège mais aussi du Rwanda où les femmes députés sont aussi nombreuses que les hommes.

Le Pays des droits de l’homme a encore bien du chemin à faire en matière de droits des femmes, cela n’a échappé à personne. L’histoire, dans quelques décennies, retiendra que le chemin a été long et laborieux mais qu’au bout du compte, la mixité a enfin été réalisée. Il est toujours utile de le rappeler.

Deux mots du sujet qui nous rassemble ce matin, la question de l’écoute. Je voudrais me référer à ce que j’ai vécu moi même, comme me l’a demandé Nicole Viallat.

En 1989, au siècle dernier, j’étais alors secrétaire d’Etat chargé des droits des femmes. J’avais lancé la première grande campagne concernant les violences dans les couples. En fait, mon équipe et moi en avions eu l’idée car nous avions reçu beaucoup de courriers et nous étions très attentifs aux détresses que nous percevions.

Moi-même, militante du droit des femmes depuis toujours, je savais combien ce sujet était encore tabou, relevait exclusivement de la vie privée et combien les vieilles paroles populaires avaient la vie dure. C’est encore parfois le cas et il n’est point besoin d’aller dans les cafés de province pour s’en convaincre !

Cette campagne s’adressait au grand public mais aussi aux autorités et aux décideurs car il ne faut pas seulement écouter mais aussi agir et il s’agissait d’une mesure totale de la violence et de la solitude, la solitude dans laquelle on peut sombrer et qui est à l’origine de beaucoup de peurs mais je suis persuadée que vous y reviendrez.

Cette solitude, cette violence, on peut la mesurer lorsqu’on est élu de base. Ce fut mon cas, ayant été 18 ans adjointe à la mairie de Clermont-Ferrand aux côtés de Roger Quilliot, qui s’intéressait beaucoup au logement social et à Albert Camus et qui imposait à chaque adjoint, une fois par semaine, une audience publique destinée à la population.

Les gens viennent sans rendez vous à ce genre de permanence, s’installent dans votre salle d’attente et vous expliquent leurs problèmes. Le seul choix que l’on avait résidait dans le jour et l’heure mais le rendez vous en semaine était impératif et obligatoire. Cela a été pour moi très formateur.

On vient tout vous dire : les choses graves, les détresses… On vient aussi protester parce que la rue est mal desservie par les autobus ou autres choses de cette nature. Peu importe. L’important est que la personne trouve quelqu’un qui écoute sa demande et puisse éventuellement y apporter une solution, même si cela n’est pas toujours facile.

Ce qui m’a beaucoup apporté, dans cette dimension, c’est mon métier. J’ai dirigé pendant bien des années un établissement d’enfants déficients auditifs, un grand établissement public à Clermont-Ferrand. J’appartenais au ministère des affaires sociales. J’ai beaucoup appris au contact de ces enfants, souvent qualifiés de sourds muets.

Sourds oui, muets seulement si on ne leur a rien appris à entendre, si on n’a pas formé ces jeunes gens et si on n’a pas fait l’effort de les inscrire dans une dimension sociale qui est celle du langage.

C’était une belle aventure. Le projet, pour ceux qui pensaient qu’un sourd n’était pas muet mais qu’il pouvait avoir accès à la parole, consistait à l’époque à faire entendre des sons. On appelait cela l’éducation auditive, le bain de langage. Cet enfant ne pouvait reproduire des mots qu’il n’avait jamais entendus Il s’agissait de lui faire comprendre les mots qui se cachaient derrière les sons et surtout de leur donner un sens.

Le projet était donc que cet enfant communique avec les autres. Certes, dans sa propre famille, le langage de l’amour dans les premières années en tout cas peut parfois suffire mais c’est rarement le cas plus tard. Il s’agissait de faire en sorte qu’il puisse parler avec tout le monde, qu’il sache plus tard acheter un billet de train pour voyager seul, construire sa vie professionnelle et familiale le quotidien.

De cette expérience unique, je garde la certitude que la voix et ce qu’elle porte est essentielle et que tout cela sert au fond à créer des liens.

Vous vous souvenez sans doute de cette jolie phrase du « Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry. Le renard rencontre le Petit Prince tombé sur cette terre de granit et lui dit : « S’il te plait, apprivoise moi ; je suis seul ». Le Petit Prince ne sait pas ce que signifie le terme « apprivoiser ». Il demande au renard, qui lui répond : « Cela signifie créer des liens » et il lui explique comment faire, s’asseoir plus près chaque jour et simplement être ensemble.

Je pense que la puissance qui se dégage d’une voix ou l’oreille qui est à l’autre bout du téléphone pour ce qui vous concerne, qui se met à l’écoute de cette voix au delà des mots, est capitale. Je considère que votre mouvement, que je connais pour l’avoir rencontré à plusieurs moments lors d’échanges avec les associations, est précieux et combien votre nom exprime bien le secours que vous apportez au nom de l’amitié.

Nous avons besoin de cela et nous avons besoin parfois, nous, politiques, de trouver une action au bout de l’écoute. Vous, vous avez sans doute parfois l’impression que vous tenez simplement avec votre réponse ou votre silence un bout de vie entre vos mains précieuses. C’est arrivé à beaucoup de personnes.

Soyez en remerciés et recevez toute ma gratitude.

Merci.